Textile

Matisse sur le métier

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 17 septembre 2014 - 707 mots

Érudite, l’exposition des œuvres tissées du peintre que présente le Musée d’art moderne de Troyes n’oublie pas pour autant le plaisir visuel.

TROYES - « Tisser Matisse » fait partie des expositions plus savantes que spectaculaires, même si, parmi les œuvres du maître présentées au Musée d’art moderne de Troyes, certaines sont splendides, en particulier Fenêtre à Tahiti (1936), conservée au Musée Matisse du Cateau-Cambrésis (Nord) où se déroulera la prochaine étape de la manifestation. Le parti pris est celui d’étudier en détail quelques exemples de travaux en textile – panneaux de lin sérigraphiés, tapis, soieries – qui ont été exécutés à partir de tableaux et de cartons du peintre fauve.

On saura tout (au risque, parfois, de se perdre) sur les différents procédés employés au cours de ces métamorphoses et sur les corps de métier impliqués (sérigraphies éditées par Zika Ascher ou tapisseries exécutées par les manufactures d’Aubusson, de Beauvais ou des Gobelins). Même si les œuvres tissées de Matisse restent peu nombreuses, elles témoignent de l’intérêt que le peintre entretenait pour les étoffes, lui qui descendait d’une famille de tisserands.

Les papiers découpés pour modèle

Le parcours proposé est pertinent car il traverse l’ensemble de la collection, fondée sur la fameuse donation de Pierre Lévy, lui-même industriel local de vêtements. Ainsi, chemin faisant, le visiteur a l’occasion d’admirer les quelques Matisse, plus anciens, acquis par ce collectionneur.
Ce rappel est utile quand on sait la place tardive accordée par Matisse au tissage dans sa production plastique. La première commande d’un carton de tapisserie n’est signée avec Marie Cuttoli qu’en 1935, l’artiste étant alors âgé de 65 ans ! Et encore, cette transcription de la Fenêtre à Tahiti ne sera jamais réalisée, Matisse préférant se limiter uniquement à sa version peinte. Les autres travaux, qui seront réalisés à partir de 1947, auront essentiellement comme modèle les papiers gouachés découpés. On pourrait croire que cette technique du carton, qui donne lieu aux travaux semi-abstraits, ces « assemblages », va inciter Matisse à réaliser leur pendant tissé. De fait, les tentatives effectuées à partir de tableaux figuratifs sont rares, non abouties ou moins convaincantes (La Femme au Luth, Nymphe dans la forêt).

Plus important, les « traductions » en textile sont inspirées exclusivement par les voyages « exotiques » de Matisse (Polynésie, Océanie).

Tout laisse à penser qu’il s’agit d’un juste retour des choses, vu le trajet du peintre. De fait, on connaît l’impact du séjour de Matisse au Maroc en 1912 et des arts islamiques sur sa peinture (que l’on songe à Klee, l’autre féru de la tapisserie orientale).

L’absence de la contrainte de la représentation, caractéristique de ce système esthétique, libère les composantes plastiques, qui en deviennent alors des « sujets » à part entière. Le tapis, dont toutes les parties de la surface ont la même importance, permet la réversibilité entre la figure et le fond. C’est à ce moment que le tissage entre les éléments d’un dessin – la répétition d’une courbe ou d’une arabesque, les liens organiques internes à l’œuvre – forme des « chaînes » décoratives qui révèlent la place accordée par le peintre à l’ornemental. On aurait ainsi aimé voir au moins un exemple de cette influence, que l’on retrouvera plus tard avec les tapas, ces textiles polynésiens en forme d’échiquiers, dans la peinture de Matisse.

Volontairement on non, quelques décennies plus tard, le processus se fera à rebours. Les réminiscences de ses voyages lointains, l’azur de l’océan, ses poissons ou les oiseaux qui le survolent (Polynésie, la mer, Polynésie, le ciel, présentée ici dans deux versions de qualité inégale) seront transcrites par Matisse dans son langage plastique, stylisé et suggestif à l’extrême. Ces deux œuvres monumentales, ainsi que l’autre couple, Océanie, le ciel et Océanie, la mer, qui date de la même période, partage le même encadrement, une forme dentelée (vague, écume, feuillage, algue ?), qui deviendra la bordure dans les versions tissées. En d’autres termes, ayant assimilé le passage des formes aux signes, tracés sur une surface plane, Matisse réalise des peintures dont la transposition en textile semble pratiquement naturelle. Mais quoi d’étonnant de la part d’un artiste dont le patronyme suggère déjà un destin marqué par le tissage ?

Tisser Matisse

Commissaire : Olivier Le Bihan

Nombre d’œuvres : 60

Tisser Matisse

Jusqu’au 19 octobre, Musée d’art moderne, 14, place Saint-Pierre, 10000 Troyes, tél 03 25 76 26 80, mardi-vendredi 10h-13h, 14h-19h, samedi et dimanche 11h-19h, en octobre mar.-vend. 10h-12h, 14h-17h, sam.-dim. 11h-18h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°419 du 19 septembre 2014, avec le titre suivant : Matisse sur le métier

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque