Apprentissage

Matisse mis à nu

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 17 janvier 2017 - 527 mots

On ne naît pas Matisse, on le devient. Le Musée des beaux-arts de Lyon en fait une belle démonstration.

LYON - Le titre du premier chapitre de l’exposition, « Apprendre et désapprendre », résume parfaitement les débuts de Matisse dans l’atelier de Gustave Moreau à l’École des beaux-arts (1892-1898), débuts qui n’ont rien de commun avec la virtuosité spontanée de son grand rival, Picasso. Quand la carrière de ce dernier est jalonnée de sursauts, de signes d’impatience, le peintre fauve, lui, semble creuser en profondeur, explorer longuement chacune de ses pistes. Peintre mais aussi sculpteur. Ce sont les quatre « Dos » (1909-1930), où le corps se transforme en volume, qui mettent en place un principe essentiel chez Matisse : la série ou l’évolution systématique vers des formes de plus en plus simplifiées, sans que le sujet se décompose définitivement. Mais sculpture ou peinture, c’est la figure humaine qui se trouve au cœur de l’œuvre. Plusieurs chapitres, « La grammaire des poses », « Une danse immobile », « Du portrait au visage », traitent ici du rapport de l’artiste au corps.

Ainsi, le Portrait de Greta Prozor (1916), cette image étrange et inquiétante, est accompagnée d’une série d’études de son visage. Le spectateur est stupéfait de découvrir les options envisagées par Matisse – y compris une version pratiquement cubiste – avant qu’il ne fasse son choix définitif.

Rapport au modèle
Ailleurs, dans la section « L’artiste et son modèle. Lydia », c’est le désir devant le corps féminin qui se trahit. Nulle part ailleurs, la ligne n’épouse avec autant de sensualité le corps de celle qui fut son modèle préféré. Nulle part ailleurs, on ne doute autant de la sincérité de la phrase de Matisse à propos de ses modèles : « L’intérêt émotif qu’elles m’inspirent ne se voit pas spécialement sur la représentation de leurs corps, mais souvent par des lignes ou des valeurs spéciales qui sont répandues sur toute la toile. » Volupté sublimée ? Sans doute, mais on peut se demander qui, dans Le Rêve, ce tableau magnifique au contenu érotique sous-jacent, est le vrai rêveur.

Le parcours, qui déroule près de 250 œuvres, se poursuit avec d’autres thèmes : « Métamorphoses, nymphes et faunes », ce monde mythique interprété par le peintre, ou « Arbres et oranges », thème qui joue sur les passages entre nature et natures mortes. Deux chapitres traitent des préoccupations essentielles de Matisse : « La blouse roumaine et le motif décoratif », « Cinématographie. Thèmes et variations ». Le premier rappelle le lien de l’artiste, issu d’une famille de tisserands, avec les textiles. Chez Matisse, le « tissage » entre les éléments d’un dessin – la répétition d’une courbe ou d’une arabesque – forme des « chaînes » décoratives qui révèlent toute l’importance accordée à l’ornemental. Le second, qui montre une série de femmes assises, propose surtout différentes déclinaisons de l’univers végétal. La feuille, la tige ou la nervure sont des formes épurées, dénuées de tout détail anecdotique, sur un fond débarrassé des effets de parasitage. Mais laissons le dernier mot à Matisse : « Lorsque je vois, étudie les femmes, je pense souvent aux fleurs. »  

MATISSE, LE LABORATOIRE INTÉRIEUR

Jusqu’au 6 mars, Musée des beaux-Arts, 20, place des Terreaux, 69001 Lyon, tél 04 72 10 17 40, www.mba-lyon.fr, tlj sauf mardi 10h-18h, vendredi 10h30-18h, entrée 7 €. Catalogue, éd. Hazan, 384 p, 45 €.

Légende Photo :
Henri Matisse, La Blouse roumaine, 1937, huile sur toile, Cincinnati Art Museum, Cincinnati. © Photo : Bridgeman Images.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°471 du 20 janvier 2017, avec le titre suivant : Matisse mis à nu

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