Dialogues

Matisse et les autres

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 1 juillet 2015 - 821 mots

Originales, parfois discutables, les confrontations proposées par la Fondation Pierre Gianadda entre l’œuvre du peintre fauve et celle des ses contemporains offrent un autre regard sur son œuvre.

MARTIGNY - Le titre, un peu ronronnant, « Matisse en son temps », a le mérite d’être parlant. Mais, reconnaissons-le, Matisse ne quittant jamais l’affiche, il n’est pas facile de trouver un angle nouveau pour l’exposer. Tâche d’autant plus difficile qu’au même moment le nouvel accrochage du Musée national d’art moderne au Centre Pompidou met en valeur les chefs-d’œuvre du maître fauve. Cependant, malgré cet « embouteillage », la qualité des très nombreux prêts accordés par le musée parisien à la Fondation Pierre Gianadda, à Martigny en Suisse, permet de confronter Matisse à d’autres créateurs, amis ou « rivaux ».

Pour ce faire, le parcours s’en tient globalement à la chronologie – à l’exception de deux ensembles autour des notions d’« atelier » et de « nature morte » – et s’ouvre sur le passage de Matisse à l’atelier de Gustave Moreau et sur sa rencontre avec Albert Marquet, Charles Camoin ou Henri Manguin. On peut comparer une toile de Marquet aux couleurs assourdies (La Cafetière [1902]) à la Nature morte à la chocolatière de Matisse (1902). Cette toile présente des contrastes chromatiques étonnants déjà rencontrés  en 1898 (Nature morte aux fruits). Faut-il croire en conséquence que le fauvisme n’est pas né soudainement au Salon d’automne de 1905 ?

Rapport au cubisme
Quoi qu’il en soit, ce moment glorieux de l’histoire de l’art est traité avec tous les égards. Pratiquement tous les fauves (ou assimilés) sont représentés ici, à la fois par leur portrait et par une œuvre. Matisse, lui, a droit au très bel Intérieur à Collioure (La Sieste). Le tableau de Braque, un paysage coloré, se situe bien loin de sa période cubiste. Le choix est intéressant, car par la suite, c’est sur le rapport entre le cubisme et Matisse que Cécile Debray, commissaire de l’exposition, tente de jeter une nouvelle lumière. La réticence, voire l’hostilité de Matisse, face aux œuvres réalisées par Braque à L’Estaque – des petits cubes, dit-il – sont bien connues. D’où une vision un peu simpliste de la modernité, qui remonte à l’opposition entre Rubens et Poussin : Picasso du côté de la ligne, Matisse de la couleur. Selon Cécile Debray, on oublie que, dès 1913, « Matisse se rapproche de Picasso, fréquente les cercles cubistes – le critique d’art Maurice Raynal, l’écrivain Pierre Reverdy, les artistes [Gino] Severini, [Henri] Laurens et surtout Juan Gris, qui séjourne comme lui pendant la guerre à l’arrière, à Collioure ». Sans remettre en question cette affirmation, on reste dubitatif face à la sélection des œuvres de Gris et de Severini, dont les objets et les personnages, éclatés en morceaux qui se chevauchent et se compénètrent, sont bien loin de l’approche matissienne. Nettement plus convaincant est le rapprochement entre le splendide bas-relief géométrique de Laurens (Guitare, 1926) et La Porte-fenêtre à Collioure (1914), une œuvre phare de Matisse, ce presque aplat stylisé à l’extrême.

Érotique et esthétique
Les deux chapitres qui suivent, « Les Odalisques » et « Les années niçoises », sont consacrés en réalité au même sujet : la femme. C’est avec elle, sous toutes les formes, que se cache la rencontre de l’érotique et de l’esthétique, ou le prolongement de l’un par l’autre. Une rencontre qui s’incarne à Martigny dans quatre toiles magistrales, deux Picasso (Femme couchée sur un divan bleu [1960] et Femme nue au bonnet turc, 1955) et deux Matisse (Odalisque à la culotte rouge [1921] et L’Algérienne [1909]).

Face à la violence avec laquelle Picasso traite les corps de ses modèles, les femmes de Matisse semblent en retrait, comme absentes. Femmes que l’on trouve étendues dans des intérieurs niçois, scènes intimistes traversées par des accents d’exotisme nostalgique et qui rappellent les séjours de l’artiste au Maroc. Ces toiles, qui s’inscrivent dans une atmosphère générale de retour à l’ordre, restent des œuvres mineures. Mais ces variations déclinées sur le même thème sont peut-être à mettre en rapport avec l’importance accordée par Matisse à la fois à l’Orient et aux arts décoratifs. L’absence de la contrainte de représentation, caractéristique de ces deux systèmes artistiques, libère les composants plastiques qui deviennent ainsi de véritables sujets à part entière.

Chez le peintre fauve, les « chaînes » décoratives, la répétition d’une courbe ou d’une arabesque, vont trouver leur aboutissement dans les papiers gouachés découpés sur lesquels s’achève la manifestation. La modernité de Matisse s’exprime ainsi dans sa capacité à déconstruire la peinture en signes isolés, tout en réussissant à associer la ligne à la couleur, le contour à la surface. Hantaï, Jean-Pierre Pincemin, les membres de Supports-Surfaces ne sont pas loin. Le titre de l’imposante toile de Claude Viallat, qui trône au milieu de la salle, Hommage à Matisse (1992) n’a rien d’usurpé.

MATISSE EN SON TEMPS

Commissaire : Cécile Debray, conservatrice au Musée national d’art moderne
Nombre d’œuvres : 115

MATISSE EN SON TEMPS

Jusqu’au 22 novembre, Fondation Pierre Gianadda, rue du Forum 59, Martigny, Suisse, tél. 41 27 722 39 78, www.gianadda.ch, tlj 9h-19h, entrée 16,50 €. Catalogue, 288 p, 32,50 €.

Légende Photo :
Henri Matisse, Intérieur à Collioure (La Sieste), 1905, huile sur toile, 60 x 73 cm, collection particulière.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°439 du 3 juillet 2015, avec le titre suivant : Matisse et les autres

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