Art moderne

EXPRESSIONNISME

Marc et Macke, destins parallèles

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 13 mars 2019 - 851 mots

PARIS

L’Orangerie offre de découvrir ces deux artistes majeurs de la modernité, membres du Cavalier bleu. Macke apparaît dans l’exposition comme un fin coloriste tandis que Marc voue un culte à l’animal.

Paris. La rencontre qui eut lieu entre Kandinsky et Marc, à Munich en 1911, aboutit au groupe mythique, le Cavalier bleu (Der Blaue Reiter), inscrit dans le récit de la modernité. Celle entre Franz Marc (1880-1916)et August Macke (1887-1914), à Munich également, en 1910, permet d’apprécier l’importance des échanges entre les différents participants de ce groupe aux contours flous. Marc résume ce sentiment dans une lettre adressée à son ami : « C’est une chance inouïe d’avoir rencontré un collègue aux convictions artistiques si fortes et intimes. » L’impact de la peinture française, sujet qui leur est cher, reste déterminant au tournant du siècle. De fait, Marc se rend à Paris, en 1903 et 1907 déjà, et y admire les œuvres de Van Gogh et de Gauguin. L’importance de ce dernier, tant pour les couleurs que pour le contenu symboliste, est encore visible dans Le Rêve de 1912 ou La Cascade de la même année. Macke, qui visite la capitale française en 1907, est frappé par la touche impressionniste et par l’espace éclaté cézannien qu’il reprend dans une toile comme Cruche blanche avec fleurs et fruits (1910).

L’exposition présentée au Musée de l’Orangerie s’ouvre sur les œuvres plus anciennes de Marc, des études de matières ou de textures – un zoom sur un fragment végétal (1908) ou une petite étude de pierres (1909) – et quelques dessins et lithographies représentant son thème fétiche, l’animal. Il est particulièrement intéressant de comparer ces travaux graphiques, relativement classiques, aux toiles qui traitent le même sujet avec une liberté chromatique totale, source de leur force expressive, à l’image des Trois animaux (chien, renard et chat), 1912.

Des rapports inégaux avec Der Blaue Reiter

Les œuvres de Macke se concentrent sur son univers proche, avec des portraits de sa femme ou de Marc. Si le Nu féminin sur fond rose, Elisabeth (1911) garde encore une certaine raideur, chez lui comme chez son camarade, de francs contrastes de couleurs vont vivifier les représentations (Torrent de forêt, 1910).

Puis, une section importante est consacrée à la formation du Blaue Reiter, autour de l’Almanach, ce célèbre recueil d’essais et d’images qui présente un panorama international des arts, sans négliger les arts naïfs, le folklore et la création des enfants ou des aliénés. À l’Orangerie, l’Almanach est illustré par quelques documents, une toile du Douanier Rousseau, une autre de Gabriele Münter, la compagne de Kandinsky (dont on aimerait voir l’œuvre exposée en France), ou encore quelques icônes venant de la collection du peintre russe.

Cependant, les rapports de Macke et de Marc avec le Blaue Reiter sont déséquilibrés. Même si Macke contribue à l’Almanach avec un essai sur les masques, sa participation à l’aventure reste marginale. Pour Marc, en revanche, la collaboration étroite qu’il développe avec Kandinsky s’accorde à sa quête esthétique. De fait, les deux peintres, à l’instar des romantiques et des symbolistes, préfèrent la métaphysique au réel et développent un discours et un art visionnaire, voire messianique. Toutefois, à la différence des images d’apocalypse de Kandinsky – le Déluge, le Jugement dernier –, c’est dans l’anatomie animale que Marc prétend déceler les lois immuables de la nature. Pour lui, l’animal est le symbole de la pureté absolue, à l’opposé de la laideur et de l’impureté de la réalité à laquelle l’homme est associé. Une des plus belles images ici est Chien couché dans la neige (1911, [voir ill.]), où le corps de l’animal épouse parfaitement le contour de la nature. On regrette l’absence des images iconiques de Marc, telles ses représentations de chevaux figurés de dos, qui permettent au spectateur de se projeter dans la toile dans une sorte de symbiose panthéiste.

Le voyage en Tunisie

Si la manifestation n’offre que quelques chefs-d’œuvre de Marc, à l’exemple de Moulin ensorcelé (1913), Écuries (1913), elle permet de mieux découvrir la production picturale de Macke. Celui que l’on catalogue rapidement parmi les expressionnistes rhénans s’affirme ici comme un coloriste hors pair. Dans Trois jeunes filles avec des chapeaux de paille jaunes (1913) ou Deux figures à la rivière (1913), les figures, pratiquement transparentes, semblent se fondre imperceptiblement dans les couleurs voisines du fond. Inévitablement, on songe à l’orphisme de Robert Delaunay, admiré par Macke, ou à Sonia Delaunay et à La Prose du Transsibérien, le poème de Blaise Cendrars qu’elle enlumine en 1913. Avec Paul Klee, autre artiste proche,Macke fait le fameux voyage en Tunisie. Kairouan III (1914, [voir ill.]) est un paysage d’une formidable légèreté où le réel et l’imaginaire ne font qu’un.

L’exposition s’achève sur les rares œuvres abstraites de Marc et de Macke. Nul ne saura dire quelle direction ces peintres auraient choisie si la guerre ne les avait pas emportés. On n’en reste pas moins troublé face à une impressionnante toile de Marc, Les Loups (1913), où les animaux retrouvent toute leur agressivité. Son sous-titre est Guerre des Balkans, épisode annonciateur de la Grande Guerre. Deux ans après Macke, Marc perd la vie en 1916 à Verdun.

Franz Marc/August Macke. L’aventure du Cavalier bleu,
jusqu’au 17 juin, Musée de l’Orangerie, jardin des Tuileries, 75001 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°519 du 15 mars 2019, avec le titre suivant : Marc et Macke, destins parallèles

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