Espagne - Art moderne

XXE SIÈCLE / VISITE GUIDÉE

Málaga redécouvre Óscar Domínguez

Par Lucille Souron, correspondante en Espagne · Le Journal des Arts

Le 25 septembre 2025 - 614 mots

MALAGA / ESPAGNE

Près de trente ans séparent l’exposition présentée au Musée Picasso de la dernière rétrospective du peintre en Espagne.

Málaga (Espagne). Le Musée Picasso de Málaga consacre une rare rétrospective à Óscar Domínguez (1906-1957), figure à part du surréalisme européen. Des volcans, des dragonniers – ces arbres préhistoriques qui parsèment les paysages canariens –, des éclats de terre, une matière sauvage. Mais aussi des cerfs-volants, des formes absurdes, légères. Tout l’œuvre d’Óscar Domínguez vibre de cette tension entre rudesse et rêverie. C’est cette ambivalence que le Musée Picasso capte dans une rétrospective attendue, et réussie. Réalisée en collaboration avec le TEA (Espace artistique de Tenerife), cette exposition est la première consacrée au peintre en Espagne depuis 1996. À travers sept sections, le musée explore l’univers de cet artiste inclassable, à mi-chemin entre le surréalisme et une mythologie personnelle profondément ancrée dans la géographie.

L’empreinte surréaliste

Né à Tenerife en 1906, dans une famille propriétaire de plantations de bananes, Domínguez quitte les îles à l’âge de 21 ans pour rejoindre Paris, où il est censé s’occuper des affaires familiales. À la capitale, il s’immerge dans les cercles surréalistes, rencontre André Breton et Dalí, se forge une place dans cette nébuleuse d’artistes.

Durant l’occupation allemande, Domínguez choisit de rester à Paris. Son atelier devient un refuge. Il participe, avec notamment des jeunes poètes, aux éditions de La Main à la plume, collectif surréaliste qui prend le relais de Breton pendant son exil américain. C’est en partie grâce à ce travail qu’il noue un lien d’amitié fort avec Picasso, qui sera aussi son inspirateur, suivant son exemple dans la déconstruction des formes classiques.

Mais le Canarien n’est pas copieur. S’il partage avec son compatriote espagnol l’intérêt pour l’éclatement des structures, et avec les surréalistes l’amour du hasard et de la provocation, il s’en éloigne par le substrat visuel et symbolique de son œuvre. Là où d’autres convoquent Freud ou Lautréamont, Domínguez revient toujours à sa terre d’origine, parsemée de masses archaïques, le regard tourné vers la voûte céleste.

Le parcours, pensé par Isidro Hernández Gutiérrez, lui-même originaire de Tenerife, suit une ligne chronologique. On y découvre un peintre excessif et tourmenté, mais porté par un sens de l’humour noir et la volonté d’explorer les confins du réel. La scénographie, sobre et efficace, joue de parois vert d’eau, comme des nappes de brume végétale d’où se détachent les œuvres.

Chaque section présente une dizaine de tableaux, et davantage dans la salle consacrée à la décalcomanie. Cette technique qu’il invente en 1935 occupe une place centrale dans son œuvre. Elle consiste à appliquer de la peinture sur la surface de la toile puis à la presser contre une autre pour produire des structures imprévisibles, créant ainsi des formes accidentées, presque géologiques. Cette pratique, qui n’est pas sans lien avec l’écriture automatique chère aux surréalistes, devient chez Domínguez un outil plastique d’une puissance rare. Les motifs surgis du frottement des surfaces sont à la fois abstraits et évocateurs, métalliques et minéraux. Dans Delphes (1957), parmi les œuvres phares de l’exposition, une montagne semble se fossiliser sous une patine industrielle : fusion parfaite du paysage et de la machine. L’époque est à l’exploration technique, à la mécanique, aux prémices de l’informatique et de l’atome. Domínguez s’y inscrit, sans y perdre sa matière première.

La salle centrale, conçue comme un espace de dialogues, met le peintre en regard d’autres noms du surréalisme européen : Magritte, Roberto Matta, Dora Maar ou Claude Cahun. Tous, chacun à leur manière, interrogent le corps et la métamorphose. Mais c’est encore Domínguez, qui, par ses figures entre animal et machine, par ses paysages irréels et ses métamorphoses graphiques, semble pousser le plus loin cette logique de transformation permanente.

Óscar Domínguez,
jusqu’au 13 octobre, Museo Picasso Málaga, Palacio de Buenavista, Calle de San Agustín, Málaga, Espagne.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°661 du 19 septembre 2025, avec le titre suivant : Málaga redécouvre Óscar Domínguez

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