Art moderne

Hommage

Mais qui est Miró ?

À Londres et à Paris, Juan Miró apparaît tour à tour sous les traits de l’artiste engagé et du poète cosmique

Par Julie Portier · Le Journal des Arts

Le 26 avril 2011 - 825 mots

La grande rétrospective organisée à la Tate Modern de Londres opère une relecture de l’œuvre de l’artiste catalan à la lumière de son engagement politique, quitte à faire de lui un chroniqueur de l’histoire.

En revanche, c’est le poète exalté et cosmique qui apparaît à Paris, au Musée Maillol, à travers ses sculptures réalisées sous la bienveillance des mécènes Marguerite et Aimé Maeght.

LONDRES ET PARIS - Voici démontré qu’une exposition est un discours capable d’orienter la perception de l’œuvre jusqu’à en donner deux approches diamétralement opposées. Difficile de croire que le Juan Miró exposé à la Tate Modern, à Londres, est le même que celui mis à l’honneur à Paris, au Musée Maillol, à travers les sculptures de la collection Marguerite et Aimé Maeght. Si ce dernier incarne la liberté créatrice dans la découverte euphorique du bronze – sans contrainte matérielle grâce à la bienveillance de ses mécènes –, c’est délibérément « un autre Miró » que présente la Tate Modern, annonce son nouveau directeur Chris Dercon.

Les commissaires de « Juan Miró : the ladder of escape » décryptent la teneur politique d’une œuvre le plus souvent cantonnée à une analyse formelle. Celui qu’André Breton qualifiait du « plus surréaliste d’entre nous » est aussi le peintre qui, invité à l’Exposition internationale de Paris en 1936, y diffuse un univoque message patriotique, en plein cœur de la guerre civile espagnole, dans une gravure intitulée Sauvez l’Espagne. Le même entreprend de grandes fresques sur des sites aussi symboliques que le nouveau siège l’Unesco à Paris, en 1958, et ne cessera dès lors de revendiquer la responsabilité civique de l’artiste. L’échelle de l’évasion (the ladder of escape), motif récurrent de l’œuvre, donne son titre à cette promenade sur les sentiers de l’histoire, nourrie par de nombreux prêts qui ont permis de reconstituer de grands ensembles tels que les Constellations (1940-1941), la série des Bleu (1961) ou le magistral triptyque L’Espoir d’un condamné à mort (1968), hommage à un anarchiste catalan dans la pure tradition de l’expressionnisme abstrait américain.

Angoisse
La première salle campe les racines régionales de Miró avec la surprenante Ferme (1921-1922). L’univers de la propriété de Montroig (Catalogne) qui a bercé l’enfance de l’artiste y est condensé dans un paysage sans perspective où sont entreposés des objets, inventaires de symboles dont découle directement son vocabulaire. Après la poésie du peintre surréaliste plantée dans une terre qui revendique son indépendance, la figure archétypale du Paysan catalan recouvre toute sa symbolique patriotique. Au revers de l’image d’un esprit échappé (par l’échelle) dans les hauteurs cosmiques de sa poésie, l’exposition met l’accent sur des œuvres symptomatiques de l’angoisse du citoyen face aux tourments de son pays. Ainsi les pastels aux couleurs sourdes appelés Figures déformées porteraient-ils le pressentiment de l’échec de la Deuxième République d’Espagne. En face, les Peintures sauvages aux couleurs criardes réalisées sur cuivre sont ici revues à la lumière du putsch franquiste. Ces corps désarticulés, levant les mains au ciel sont de la même famille que les ogres et les pleureuses qui peuplent la grande série de lithographie dite de Barcelone (1944). La forte tension qu’elle véhicule contraste, a priori, avec la série des Constellations. Pourtant, l’exposition qui présente ces gouaches dans l’ordre chronologique, attire l’attention sur l’humeur angoissée qui gagne la feuille à mesure qu’elle se densifie quand l’armée allemande envahit la France. L’échelle de l’évasion est ici celle qui mène à l’asile politique. 

Désuétude
C’est à ce moment du parcours que pointent les limites du discours sur l’œuvre, surtout quand les sculptures de bronze faites d’assemblages d’objets, parallèlement exposées au Musée Maillol, sont signalées comme de possibles réponses aux architectures de la reconstruction. Le Miró de la collection Maeght est de son côté l’artisan exalté d’un monde fantasmagorique en trois dimensions. L’accrochage sur le mode de l’accumulation traduit la prolixité du génie créateur déjà loin des premiers rangs de l’avant-garde – Picasso réalisa ses assemblages d’objets trouvés, coulés dans le bronze, vingt ans plus tôt. Sur l’air du Blues for Miró de Duke Ellington, composé à Saint-Paul-de-Vence en 1966, les sculptures cosmiques et les céramiques délirantes réalisées avec son ami Artigas n’expriment que le bonheur éthéré de la création, manquant même d’attirer l’attention sur l’humeur ambiguë. Une fois l’artiste consacré, son engagement politique à partir des années 1960 prend un tour autrement spectaculaire, voire moins subtile, à en juger par les Toiles brûlées des années 1970 présentées dans une mise en scène qui ne fait qu’accentuer leur désuétude – dans un tout autre propos, Yves Klein réalisait ses peintures de feu dix ans plus tôt. Dans le contexte du soulèvement populaire et de la libération des mœurs, plus enthousiasmante est la Jeune fille s’évadant (1968), en équilibre sur ses jambes de mannequin en talons aiguilles et coiffée d’une vanne d’incendie.

THE LADDER OF ESCAPE

Commissaire : Marko Daniel, Matthew Gale (Tate Modern) et Teresa Montaner (Fondation Miró)

Nombre d’œuvres : 150


MIRO SCULPTEUR

Commissaire : Isabelle Maeght

Nombre d’œuvres : 150

JOAN MIRO : THE LADDER OF ESCAPE, jusqu’au 11 septembre, Tate Modern, Bankside, Londres, tél. 44 20 7887 8888, www.tate.org.uk/modern, tlj 10h-18h, vendredi et samedi jusqu’à 22h. Catalogue, éd. Tate Gallery Publishing, 240 p., 25 livres sterling, ISBN 978-1-8543-7977-1

MIRO SCULPTEUR, jusqu’au 31 juillet, Musée Maillol, 61, rue de Grenelle, 75007 Paris, tél. 01 42 22 59 58, www.museemaillol.com, tlj 10h30-19h, vendredi jusqu’à 21h. Catalogue, coéd. Gallimard et Musée Maillol, 206 p., 35 euros, ISBN 978-2-0701-3346-8

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°346 du 29 avril 2011, avec le titre suivant : Mais qui est Miró ?

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