BIENNALE DE LYON

Lyon réinvente le moderne

Par Stéphane Renault · Le Journal des Arts

Le 20 septembre 2017 - 850 mots

Confrontant l’art actuel à la modernité, la manifestation en profite pour explorer les limites du champ des arts visuels.

Lyon. La 14e Biennale de Lyon, comme son édition précédente et la prochaine, est placée sous le signe du « Moderne ». Ainsi l’a souhaité Thierry Raspail, qui a cette année confié les clefs de la Sucrière et du Musée d’art contemporain de Lyon (MacLyon) à Emma Lavigne, commissaire invitée, directrice du Centre Pompidou-Metz (lire p. 16). Son directeur artistique donne le cadre : « Le contemporain au sens où nous l’entendons aujourd’hui prend source dans les années 1940-1950 et s’affirme à l’arrivée du Pop, du minimal et du concept dans les années 1960. Il correspond entre autres à la fin des avant-gardes et à la tentative de sortie du diktat de la nouveauté. Puis “contemporain” devient “le” contemporain […]. Les effets de tout cela ont profondément modifié notre relation au présent, à l’aujourd’hui, à l’actuel, au “contemporain”, mais aussi, bien évidemment, au Moderne et à l’histoire tout entière, futur inclus. » Suivant ce fil rouge de la relecture du « moderne », source de réinvention pour la création contemporaine – thème imposé, direction à suivre autant que contrainte –, Emma Lavigne a conçu un parcours confrontant création actuelle et grandes figures de la modernité. Hans Arp et Ernesto Neto, Lucio Fontana et Julien Creuzet…, des œuvres pour beaucoup issues de la collection du Musée national d’art moderne-Centre Pompidou, sorties des réserves à l’occasion de son quarantenaire. À l’image du Radome (1957), projet utopiste de Richard Buckminster Fuller, qui accueille l’installation Clinamen de Céleste Boursier-Mougenot (lire p.-18-19). Un artiste que la commissaire connaît bien pour avoir assuré le commissariat de son projet « Rêvolutions » au pavillon français de la Biennale de Venise en 2015.

Paradoxalement, on le sait, la contrainte offre un espace de liberté, d’expression, de concentration de la pensée et de l’action, obligeant au dépassement de soi, à la remise en question de quelques certitudes. C’est aussi une formidable occasion d’ouverture. Appliquée à trouver des correspondances, à voir dans le moderne un déclencheur de formes en porosité avec d’autres champs, Emma Lavigne a composé une partition qui lui ressemble, fidèle à ses tropismes, profitant de l’exercice pour réaffirmer son intérêt pour des œuvres en mutation, hybrides, polysémiques, où l’image rencontre le son, le mouvement. Une démarche qui privilégie le décloisonnement, le dépassement du strict champ des arts visuels pour emmener ailleurs, non sans poésie, dans une rencontre fructueuse des disciplines. Aux intersections plus qu’aux frontières. En ce sens, on se souvient de l’exposition « Danser sa vie » (2011-2012) au Centre Pompidou, conçue avec Christine Macel, ou encore d’« Espace Odyssée » (2004) à la Cité de la musique, sur la notion d’espace en musique et dont la scénographie était signée Dominique Gonzalez-Foerster.

De cette confrontation entre la modernité et les œuvres contemporaines qu’elle a pu inspirer se dégage un sentiment de méditation contemplative, de pause bienvenue dans le flux incessant et accéléré du monde qui est le nôtre. La salle immaculée du MacLyon où conversent Arp, Calder, Fontana et Neto constitue de ce point de vue un moment d’intense plaisir visuel. L’infini, le silence comme sources de la pensée plastique. L’univers des formes comme lieu d’accalmie, de réflexion, de partage. Pour mieux se réinventer.

Une continuité, un héritage
Cette mise en perspective historique, relecture fertile s’il en est, ouvre au passage des horizons. Du neuf avec de l’ancien ? Il s’agit de bien plus que cela. Comme le rappelle Thierry Raspail : « La question Moderne est née au XVIIe avec la querelle du même nom qui s’oppose à l’ancien, et qui ne s’est jamais véritablement éteinte. » Si l’on peut entr’apercevoir dans les auteurs de certaines œuvres contemporaines des « modernes » en devenir, dans une filiation formelle et d’esprit, cette capillarité entre l’art d’hier et celui d’aujourd’hui, les questionnements communs qu’ils expriment sur l’état du monde, leurs esthétiques partagées donnent à voir une continuité, un héritage – fût-il dans la rupture. Dans ces « Mondes flottants », intitulé ô combien évocateur de la Biennale, « rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme ». À lire Lygia Pape, artiste majeure de la scène brésilienne émergente des années 1950 : « Tout est connecté. L’œuvre d’art n’existe pas comme un objet fini et abouti mais comme quelque chose qui est toujours présent, en permanence avec les gens. »

D’emblée, dans l’ascenseur du MacLyon, la musique d’Ari Benjamin Meyers nous saisit, comme l’installation Rainforest V du compositeur David Tudor. L’ouïe, encore, sollicitée dans le film Stolen Time du Mexicain Fernando Ortega, dans lequel un soliste flûtiste joue un requiem de Kazuo Fukushima. Ou fascinée par la musique planante, cette fois, de Home, installation très New Age du Colombien Icaro Zorbar. Cerith Wyn Evans propose quant à lui un étrange voyage sonore immobile. Les références, les citations abondent, du « Grand Verre » de Duchamp au non moins iconique In C Music de Terry Riley, en passant par Marcel Broodthaers. Jusqu’à l’impressionnante Sonic Fountain de Doug Aitken à la Sucrière, où l’écoulement de l’eau prend une dimension symphonique. Une expérience sensorielle, à vivre en mode immersif, dont on ressort à la fois apaisé et mélancolique. Dans un état de flottement.

mondes flottants, 14e biennale de lyon,
jusqu’au 7 janvier 2018, La Sucrière, les Docks, 47-49, quai Rambaud ; Musée d’art contemporain, Cité internationale, 81, quai Rambaud, www.biennaledelyon.com

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°485 du 22 septembre 2017, avec le titre suivant : Lyon réinvente le moderne

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