Cinéma

Lumière sur Lyon

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 29 avril 2005 - 810 mots

Le Musée des beaux-arts souligne l’importance de l’impressionnisme sur les films des frères Lumière.

LYON - Lorsqu’ils inventèrent le cinématographe, en 1895, Louis et Auguste Lumière avaient en mémoire quantité de références visuelles, à commencer par les tableaux de Monet, Renoir ou Sisley, qui les auraient fortement influencés. La démonstration est faite aujourd’hui au Musée des beaux-arts de Lyon, qui met en exergue les rapports étroits entre l’impressionnisme et la naissance du cinématographe. « Je trouvais injuste de considérer que les frères Lumière s’étaient inspirés de l’impressionnisme de manière quasi inconsciente, comme l’ont trop souvent écrit les historiens d’art, explique Vincent Pomarède, chef du département des Peintures du Musée du Louvre et l’un des commissaires de l’exposition. Peut-être que Louis et Auguste n’ont jamais vu La Tempête de Monet, mais les similitudes avec leur film Gros Temps en mer sont frappantes. » Celui-ci est d’ailleurs présenté en regard du tableau prêté par le Musée d’Orsay, en guise d’introduction. Le parcours est construit sur ce principe de comparaison entre les images animées des frères Lumière et des tableaux impressionnistes, qui se côtoient selon des thématiques reprenant les préoccupations esthétiques de l’époque : la famille, la vie quotidienne, la ville, le monde industriel, la gare et les trains, le plein air...

Véritables « paysagistes »
Si la scénographie est indéniablement vivante, ce petit jeu tourne souvent à l’avantage des films Lumière. Non seulement parce que les films sont projetés sur des écrans au format de l’époque, mais surtout en raison de la qualité inégale des tableaux exposés. Ce constat est particulièrement flagrant dans la partie consacrée au monde urbain. La vue de Venise, quai des esclavons (1895), de Boudin, ou Le Pont-Neuf (1902), dépeint par Pissarro, font grise mine face à des projections envahissant tout l’espace, où se pressent les foules, les marchands et les fiacres, à Paris, Moscou ou Londres. Seule La Gare Saint-Lazare (1877), réalisée par Monet, ou Le Pont de l’Europe (1876-1877), de Caillebotte, arrivent à s’imposer face aux images de l’Arrivée de l’express (1896). Quant au film sur l’Arrivée d’un train à Perrache (1896), les points communs avec La Gare de banlieue (1895), peint par Georges d’Espagnat, notamment en ce qui concerne le plan, sont confondants… Beaucoup plus que les thèmes traités, qui correspondent à l’air du temps et se retrouvent aussi dans la littérature, ce sont les préoccupations techniques des impressionnistes qui semblent avoir profondément marqué les frères Lumière. Les réflexions menées sur le cadrage, le traitement de la lumière, le travail en plein air, la forte structuration de l’image, l’application des règles de la perspective dite « linéaire » ne peuvent en effet être le fruit du hasard. Question cruciale pour les impressionnistes, la représentation du mouvement est au cœur du travail de Louis et Auguste, qui tentent de capter les moindres remous du vent dans les feuillages, des fumées ou de l’eau. Véritables « paysagistes », inventeurs de génie, les frères Lumière n’en sont pas moins des cinéastes, insiste Thierry Frémaux, également commissaire de l’exposition et directeur de l’Institut Lumière, qui a ouvert à Lyon en 2003 (lire le JdA no 176, 12 septembre 2003). « Lorsque l’on regarde les films Lumière non pas comme des “documents”, mais comme des œuvres à part entière, on s’aperçoit qu’il y a un regard, une attitude et une technique de cinéaste. Je pourrais dire de poète et, justement, de peintre », précise-t-il. À partir de 1900, les Lumière se détournent pourtant du cinéma et travaillent à de nouvelles inventions (lire l’encadré). La peinture et le 7e art prennent à cette époque des directions radicalement différentes. Tandis que l’avant-garde tourne le dos au récit et revisite le réel avec le fauvisme, le cubisme puis la naissance de l’abstraction, le cinéma se lance dans la narration. C’est l’entrée en scène de Pathé et Méliès dont est projeté le célèbre Voyage dans la Lune (1902). Le début d’une autre histoire.

Les inventeurs Lumière

1862-1864 Naissance d’Auguste puis de Louis.

1881 Fabrication des plaques sèches photographiques à étiquettes bleues, dont le succès incitera leur père, Antoine, à faire construire une usine dans le quartier de Monplaisir à Lyon.

1886 Les frères Lumière développent la reproduction imprimée grâce à un système élaboré de photogravure.

1895 Invention du cinématographe en février et première projection publique de La sortie des usines Lumière le 22 mars. Son exploitation s’étend rapidement au monde entier.

1899 Louis met au point le Périphote, appareil photographique permettant de réaliser des photos à 360° et le Photorama, pour les projeter.

1903 Brevet déposé de la plaque photographique, permettant l’obtention de la couleur par un procédé appelé « autochrome ».

1915 Auguste invente le tulle gras pour les grands brûlés.

1916 Louis met au point une prothèse de main destinée aux combattants amputés.

1919 Louis entre à l’Académie des sciences et Auguste à l’Académie de médecine. 1948-1954 Mort de Louis puis d’Auguste.

IMPRESSIONNISME ET NAISSANCE DU CINÉMATOGRAPHE,

jusqu’au 18 juillet, Musée des beaux-arts de Lyon, 20, place des Terreaux, 69001 Lyon, tél. 04 72 10 17 40, tlj sauf mardi et jours fériés, 10h-18h, 10h30-20h le vendredi. Catalogue, Fage éditions, 346 p., 30 euros. - À voir : Institut Lumière, 25, rue du Premier-Film, 69008 Lyon, tél. 04 78 78 18 95, tlj sauf lundi, 11h-18h30, www.institut-lumiere.org

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°214 du 29 avril 2005, avec le titre suivant : Lumière sur Lyon

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