Repéré par Annabelle Ténèze, directrice des Abattoirs, lors de son exposition à l’ICA à Miami en 2016, Renaud Jerez signe à Toulouse sa première exposition monographique dans une institution française – aboutissement d’un parcours jusqu’alors mené plutôt à l’international.
Fidèle à son image d’artiste « post-Internet » voué à l’exploration de la « singularité technologique », le jeune homme (il est né en 1982) y transforme une partie du rez-de-chaussée en une série d’« espaces de vie » où le white cube se dégrade en « architecture de l’étrange » froide, inhospitalière et franchement inquiétante. Succession de caissons, de structures, de cabanes, de meubles et d’objets agencés en un bric-à-brac composite, « Miroir noir » n’emprunte pas seulement son titre à Black Mirror, la série anglaise la plus commentée du moment : son agencement distille le malaise en simulant un espace domestique brouillon et brouillé, hanté du porche à la chambre à coucher par des créatures biomorphes – mi-robots, mi-vampires tapageurs et grotesques. La scénographie de l’exposition est pour beaucoup dans ce sentiment persistant de déplaisir : rompu à l’exercice (l’artiste avait assuré le commissariat de « Doom : Surface Contrôle » au Magasin de Grenoble en 2014), Renaud Jerez y ménage de bout en bout de discrets décalages (via notamment le contraste entre matériaux « pauvres » et précieux, entre peur et dérision) pour figurer le sale, le précaire et l’indistinct. Là réside paradoxalement la réussite de « Miroir noir » : en suscitant chez son public l’irritation sinon la répulsion, l’installation donne forme aux fantasmes de dissolution et de morcellement généralement associés à la notion de singularité technologique.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°712 du 1 mai 2018, avec le titre suivant : L’inquiétante étrangeté de Renaud Jerez