Orientalisme

L’inconstant Benjamin-Constant

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 28 octobre 2014 - 625 mots

Le Musée des Augustins consacre une première et imposante rétrospective au peintre orientaliste Benjamin-Constant, capable du meilleur comme du pire.

TOULOUSE - Jean-Joseph Benjamin Constant, dit Benjamin-Constant (1845-1902), est de ces artistes méconnus quoique célébrés et ensevelis sous les honneurs de leur vivant, que les historiens de l’art exhument, les uns après les autres, depuis une trentaine d’années. Pour le Musée des Augustins de Toulouse, une exposition consacrée à cet enfant du pays, figure clé de l’école toulousaine auprès de Jean-Paul Laurens et Henri Regnault, allait de soi. Pour le Musée des beaux-arts de Montréal, l’appétit était grand : le musée québécois possède quatre tableaux orientalistes du peintre, deux acquisitions récentes et deux toiles achetées du vivant de l’artiste qui avait très tôt compris l’intérêt du marché international. C’est main dans la main que les deux musées ont élaboré cette première rétrospective qui n’est que la partie émergée de l’iceberg d’un colossal travail de recherches et un vaste programme de restauration d’œuvres. Si les commissaires insistent sur la « personnalité attachante » de Benjamin-Constant, c’est que l’homme, pourtant droit dans ses bottes et engagé sur le chemin de l’académisme, a été capable du meilleur comme du pire. Inspiré par la période nord-africaine d’Eugène Delacroix, le peintre voyage à plusieurs reprises entre le Maroc et l’Espagne mauresque à partir des années 1870, s’installe pendant dix-huit mois à Tanger et, de retour à Paris, devient un porte-drapeau de l’orientalisme de pacotille reconstitué en atelier. Qu’importe les tissus et objets se retrouvant d’une toile à l’autre, leur qualité plastique est admirable.

Un coloriste d’exception

Odalisque classique de prime abord, Rêve d’Orient (1887) est une merveille de sensualité dans la figure (évocatrice des femmes évanescentes de Jean-Jacques Henner) calée dans un décor dont les matières sont traitées de manières si différentes que l’on jurerait faire face à un patchwork de toiles signées d’auteurs variés. Lorsqu’il se fait ethnologue, Benjamin-Constant sait livrer des portraits saisissants (Tête de Maure, v. 1875 ; Le Caïd marocain Tahamy, 1883), où l’audace du trait et la fierté des couleurs servent le sentiment de respect pour le modèle. Les ombres de Jean-Léon Gérôme et Paul Delaroche planent également sur les tableaux relatant des épisodes de l’histoire du Moyen-Orient. Outre leur énergie narrative, ces compositions sont parsemées de petits détails propres à faire frissonner – ce flot de sang frais d’une victime tout juste décapitée qui dévale une rigole ; ce chapelet de têtes décollées se balançant sur le flanc d’un dromadaire (Les Derniers rebelles, scène d’histoire marocaine, 1880).

Mais dès lors qu’il peint pour une clientèle amatrice de rêves aussi sucrés que les pâtisseries orientales, l’artiste se révèle moins inspiré. Si le pinceau de ce coloriste hors pair sait se faire original, l’ennui de ses modèles qui n’ont jamais mis les pieds dans un harem est communicatif. La faible proportion de portraits mondains ici présentée suffit à convaincre qu’il s’agit là du revers de l’une des nombreuses médailles épinglées sur la poitrine de Benjamin-Constant.

La grande force de cette exposition est d’avoir su réunir plusieurs grands formats particulièrement difficiles à transporter, comme Le Jour des funérailles-Scène du Maroc (1889) du Petit Palais, ainsi qu’une quantité non négligeable d’œuvres de petits formats appartenant, pour leur part, à des collections particulières – nombre d’entre elles n’ont pas été exposées depuis l’époque de Benjamin-Constant. Saluons enfin le catalogue de l’exposition, une somme d’essais qui fera date, mais dont la triste qualité des reproductions donne une raison supplémentaire pour se ruer à Toulouse ou, l’année prochaine, Montréal.

Benjamin-constant

Commissaires : Nathalie Bondil, directrice et conservatrice en chef du Musée des beaux-arts de Montréal ; Axel Hémery, directeur du Musée des Augustins de Toulouse
Commissaire associé : Samuel Montiège
Itinérance : Musée des beaux-arts de Montréal, 31 janvier 2015-31 mai 2015

Benjamin-constant. Merveilles et mirages de l’orientalisme

Jusqu’au 4 janvier 2015, Musée des Augustins-Musée des beaux-arts de Toulouse, 21, rue de Metz, 31000 Toulouse, tél. 05 61 22 21 82, www.augustins.org, tlj 10h-18h, 10h-21h le mercredi et le vendredi, catalogue monographique, coédité par le Musée des beaux-arts de Montréal, le Musée des Augustins et Hazan, 400 pages, 49 €.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°422 du 31 octobre 2014, avec le titre suivant : L’inconstant Benjamin-Constant

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