Confrontés à Arles, leurs univers respectifs sont trop distincts pour s’accorder entre eux.

Arles (Bouches-du-Rhône). C’est un parallèle inattendu qui est proposé à l’hôtel Vernon, où Lee Ufan a ouvert en 2022 un lieu d’exposition, « Lee Ufan Arles ». « À conversation piece » instaure un dialogue entre son œuvre et celui de Michelangelo Pistoletto. Les deux artistes (nés respectivement en 1936 en Corée du Sud et en 1933 en Italie) sont contemporains. Mais aucune affinité préalable n’a présidé à ce rapprochement. Si une amitié a lié Lee Ufan à un autre de ses homologues occidentaux, Richard Serra (1938-2024) – et comment ne pas y penser en regardant la sculpture du Coréen, The Stage, de la série « Relatum », composée d’une plaque d’acier incurvée et d’une pierre – , sa rencontre avec Pistoletto est récente. Leurs œuvres sont parfois montrées dans les mêmes accrochages, ce sera le cas cet automne lors de l’exposition « Minimal » à la Bourse de commerce-Pinault Collection. Mais le protagoniste de l’Arte povera et le théoricien du Mono-ha n’ont réellement échangé pour la première fois que lors du débat animé cet été à l’hôtel Vernon par Emma Lavigne, directrice générale et conservatrice de Pinault Collection. « Mettre en place un dialogue entre deux artistes est toujours une entreprise délicate », écrit dans le texte du livret le commissaire Erik Verhagen, appelé en renfort, qui souligne combien il peut se révéler « périlleux » de vouloir établir des passerelles entre des mouvements apparus de façon concomitante.
Dès le début du parcours, le risque du malentendu guette en effet. L’Etrusco, une pièce phare de Pistoletto, d’après la statue étrusque de l’Orateur datant du début du Ier siècle avant J.-C., placée devant un miroir, pointe l’index vers une perspective dans laquelle se reflète le spectateur. Quelques mètres plus haut, une plaque de terracotta porte l’empreinte de Lee Ufan : sur cette surface d’argile tendre avant d’être figée, un doigt a posé son sceau. Chacune des œuvres pose la question du geste créateur et du rapport à la matière, mais que gagne-ton à les comparer formellement ?
Plus loin, les entrelacs graphiques de Io, tu, noi [voir ill.], de Pistoletto, reprennent le signe mathématique de l’infini devenu le symbole du « Troisième Paradis », thème central de son œuvre depuis le début des années 2000 et dont il fit un manifeste. En vis-à-vis, deux rocs posés par Lee Ufan sur un lit de gravier blanc, leurs ombres redoublées par des cercles peints, dessinent un espace relationnel conjoint, interstice ténu (Relatum – Accès, 2022, [voir ill.]). Les formes circulaires entrecroisées de chacune de ces œuvres suggèrent une analogie, mais celle-ci constituerait sans doute un contresens. Comment pourrait-il en être autrement ? Quand l’art de Pistoletto convoque Michel-Ange et toute une culture de l’image, Lee Ufan exprime le souffle contenu dans une ligne et évoque le corps à l’œuvre. Le parcours permanent de la collection Lee Ufan, conçu selon une scénographie épurée, laisse de toute façon peu de place à une autre présence. Déjà, un nombre de visiteurs important en perturbe l’expérience, alors l’œuvre d’un(e) autre artiste !…
Un étage a été réservé aux sérigraphies sur miroir de Pistoletto (on y voit également un superbe autoportrait de dos [Uomo grigio di schiena, 1961]), comme si cet invité de marque était tenu à l’écart pour son propre confort – ou pour celui de son hôte ? Malgré la présence de pièces remarquables des deux artistes, le visiteur ressort de l’exposition avec le sentiment d’une conversation qui aurait tourné court.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°661 du 19 septembre 2025, avec le titre suivant : Lee Ufan et Pistoletto ne cohabitent pas si bien





