Beaux-arts

Licences académiques

De l’art de s’accommoder du carcan de l’Académie royale de peinture et de sculpture…

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 24 novembre 2009 - 762 mots

PARIS - L’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris (Ensba) poursuit son entreprise d’introspection en explorant son très riche fonds patrimonial.

Deux nouvelles expositions, présentées l’une sur le quai Malaquais, l’autre au sein du cabinet des dessins Jean-Bonna, se révèlent fort instructives sur l’atmosphère qui régnait, sous l’Ancien Régime, au sein de l’Académie royale de peinture et de sculpture, appellation d’origine de l’école. Car c’est avant tout de cela qu’il s’agit : comment les artistes se sont-ils accommodés de la protection royale qu’ils ont sollicitée et obtenue en 1648 pour échapper au régime des corporations artisanales ? Allaient-ils ainsi devenir inévitablement des courtisans ?
    À défaut de prouver le contraire, l’exposition du quai Malaquais démontre que leur marge de manœuvre était ténue. Si conventions et règles ont été édictées, de nombreux artistes ont su malgré tout gagner un espace de liberté et contrevenir aux interdictions, « sans [que cela tire] à conséquence » selon la formule en vigueur à l’époque. L’évolution des morceaux de réception sous le règne de Louis XIV, exercice imposé aux prétendants Académiciens, en livre une parfaite illustration. « Ils évoluent de la propagande pure à des maximes qui sont finalement des leçons données au roi », explique Emmanuel Schwartz, commissaire de l’exposition. Les références antiques, utilisées à des fins politiques, se retournent parfois contre le roi. Y compris quand le courtisan maladroit Charles Le Brun opte pour une référence à Alexandre le Grand alors que les mœurs du Macédonien rappellent plus celles du Grand Condé que du roi… Quelques fortes têtes seront toutefois exclues, notamment le graveur Abraham Bosse dont la causticité dérange. Après la mort du Roi-Soleil, le carcan se desserre et la vague de libertinage qui frappe Paris n’épargne pas l’Académie. Invités au Salon, les artistes ont gagné leur statut : ils sont devenus des figures de la vie intellectuelle. Ils soignent désormais leur image. Alors que la dimension des perruques était, au siècle précédent, proportionnelle à la propension à la courtisanerie, l’artiste du XVIIIe siècle se plaît à être figuré dépenaillé « par orgueil de la saleté propre à l’artiste », souligne Emmanuel Schwartz. Et quand la Révolution gronde aux portes de l’Académie, 80 % des artistes sont déjà acquis à sa cause.

Le dos du modèle
Au cabinet des dessins Jean-Bonna, une remarquable exposition prolonge cette réflexion en éclairant d’un jour nouveau l’exercice par excellence de la maison : l’académie, ou dessin de nu d’après le modèle, qui tire son nom du seul lieu où cette pratique a été autorisée jusqu’au début du XVIIIe siècle. Sur les 600 feuilles encore en possession de l’Ensba, 30 ont été sélectionnées pour narrer l’histoire de cet exercice pédagogique devenu un genre à part entière. Les premiers dessins conservés datent de 1664. À cette époque, et jusqu’en 1742, seules les feuilles des professeurs ont été conservées. Elles sont toutes signées et datées, et ont subi les usures du temps pour avoir été punaisées sur les murs de la salle de géométrie. Victime de son succès et faute de modèles en nombre suffisant – l’un d’entre eux, Jean-François Deschamps, a exercé pendant près de quarante ans ! –, l’exercice n’était accessible qu’après une rigoureuse sélection des élèves, qui passait d’abord par une étude à partir de l’académie du professeur. « L’accès à la salle du modèle était régi par un protocole très strict, explique Camille Debrabant, co-auteur du catalogue. Les élèves s’y installaient en fonction de leur rang hiérarchique. » Les moins bien classés devaient ainsi se contenter du dos du modèle. Loin d’être rébarbatives, les feuilles des professeurs témoignent de la manière dont certains d’entre eux prenaient à cœur leur rôle, en livrant des feuilles très pédagogiques insistant sur les raccourcis, quand d’autres déléguaient leurs assistants – les procès-verbaux témoignent de l’absentéisme des professeurs – ou en profitaient pour travailler des poses utiles à leurs propres peintures. Les débats théoriques qui animaient l’école y transparaissent également. Lorsque les partisans du coloris et du dessin s’affrontent, certains enseignants prennent clairement parti contre le roi qui soutient le clan du dessin… Ainsi de Charles de La Fosse, dont les académies sont exécutées aux trois crayons. En matière d’indiscipline, les élèves étaient manifestement à bonne école.

L’ÉCOLE DE LA LIBERTÉ. ÊTRE ARTISTE À PARIS 1648-1817, jusqu’au 10 janvier 2010, École nationale supérieure des beaux-arts, 13, quai Malaquais, 75006 Paris, tlj sauf lundi 13h-19h, www.beauxartsparis.fr. Catalogue, 344 p., 40 euros, ISBN 978-2-84056-315-0.

L’ACADÉMIE MISE À NU, jusqu’au 29 janvier, cabinet des dessins Jean-Bonna, Ensba, 14, rue Bonaparte, 75006 Paris, du lundi au vendredi, 13-17h. Catalogue, 120 p., 20 euros, ISBN 978-2-840566316-7.

L’ÉCOLE DE LA LIBERTÉ
Commissaires : Anne-Marie Garcia, conservatrice des bibliothèques, chargée des estampes ; Emmanuel Schwartz, conservateur en chef du patrimoine
Scénographie : Hubert Le Gall

L’ACADÉMIE MISE À NU
Commissaire : Emmanuelle Brugerolles, conservatrice
Documentation : Camille Debrabant et Joëlle de Couëssin

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°314 du 27 novembre 2009, avec le titre suivant : Licences académiques

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