Toutes périodes

TOUTES PÉRIODES / VISITE GUIDÉE

L’habit fait-il l’artiste ?

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 24 avril 2025 - 696 mots

L’exposition présentée au Louvre-Lens questionne dans une scénographie théâtrale comment les artistes construisent leur image à travers le vêtement.

Paris. Le titre S’habiller en artiste, L’artiste et le vêtement est ambitieux. Peut-être même trop, car il entretient une certaine ambiguïté : l’exposition explore-t-elle la manière selon laquelle les artistes construisent leur identité à travers leurs vêtements ou bien leur façon de représenter l’habit dans leurs œuvres ?

Dès l’entrée de l’exposition, grâce à une scénographie spectaculaire imaginée par Mathis Boucher, l’ambiance est raffinée. Des voûtes majestueuses, un rideau imposant ou encore l’évocation d’un salon de haute couture d’Yves Saint Laurent plongent le visiteur dans un univers sophistiqué. Dans cet espace théâtral, les acteurs-artistes, à leur tour, deviennent metteurs en scène.

Selon les commissaires, Annabelle Ténèze, directrice des lieux, et Olivier Gabet, directeur du département des Objets d’art au Louvre, c’est par le biais du vêtement que les créateurs cherchent à donner de leur métier et d’eux-mêmes une image. Certes, mais l’habit ne fait pas tout : il s’accompagne d’une posture, d’une coiffure, d’une gestuelle, d’une attitude. Dans cet univers où le jeu des rôles est omniprésent, défilent des portraits et des autoportraits dans lesquels les artistes accordent une importance croissante à leur apparence sociale, voire institutionnelle. Ainsi, lorsqu’ils se représentent pinceaux et palette à la main, c’est souvent sans les manier, mais uniquement pour afficher leur fierté professionnelle et exalter leur identité. (Luis Egidio Meléndez, Portrait de l’artiste tenant un dessin d’académie masculine, 1746). Plus qu’en un créateur, l’artiste se mue alors en homme du monde.

Cela dit, l’exposition rassemble de nombreuses œuvres où le vêtement joue un rôle clé. Tantôt enveloppe, tantôt attribut, l’habit permet une lecture plus complète des personnages et de leur société. Certaines œuvres, comme les deux autoportraits remarquables de Rembrandt, témoignent de cette importance. Ce phénomène est particulièrement frappant aux époques où la mode – très présente dans l’exposition – impose ses diktats et ses caprices. C’est ainsi que le goût de l’Antiquité, stimulé par les découvertes archéologiques au XVIIIe siècle, inspire des portraits et autoportraits en toge (Constance Mayer-La Martinière, Autoportrait, 1795-1801, voir illustration). Drapés somptueux et plis travaillés renvoient à un passé idéalisé, un rêve forgé dans l’imaginaire occidental. Ce fantasme traverse les siècles et ressurgit chez les créateurs de mode contemporains.

L’artiste, un homme comme les autres

Une autre section de l’exposition aborde l’omniprésence du costume noir à l’époque de l’essor de la bourgeoisie, au XIXe siècle. Peut-on alors véritablement distinguer les artistes – même romantiques – des autres membres de la société portant cet uniforme sombre (Henri Fantin-Latour, Un atelier aux Batignolles, 1870) ? De même, le chapitre consacré à saint Luc peignant la Vierge Marie soulève des interrogations. Dans cet épisode, où l’enfance de l’art se mêle au sacré, c’est avant tout l’assimilation de l’artiste à l’un des quatre évangélistes, qui est mise à l’honneur.

Le parcours, riche et varié, se poursuit avec de nouvelles postures signalées par une garde-robe qui s’étoffe : oscillation entre habits masculins et féminins (Eugène Delacroix, Portrait de George Sand, 1834), déguisement ou travestissement, (Samuel Fosso, La femme américaine libérée des années 1970, 1977), queer – (Andy Warhol, Self- Portrait in Drag, 1980-1982), bref tout ce qui souligne et relance les identités plurielles et la question d’altérité. Enfin, quelques figures iconiques comme la robe de chambre de Balzac sculptée par Rodin (1897) ou Veston Aphrodisiaque, d’après Salvador Dalí (1979), trouvent leur place.

Puis, comme le remarquent avec justesse les organisateurs : « Si une œuvre peut être un vêtement, alors un vêtement peut être une œuvre. » Une large section met en lumière le dialogue entre la haute couture et l’art, notamment l’abstraction – à l’image de la célèbre robe Mondrian réalisée par Yves Saint-Laurent (1965).

Face à l’indéniable plaisir visuel et sensoriel que procure la traversée de cette présentation, on aimerait y voir davantage de travaux où l’objet-habit, conçu indépendamment du corps, devient le sujet même de la création et s’inscrit dans une critique sociale. Un exemple parmi d’autres : Les Vêtements-Refuges (1992) de Lucy Orta, habits pour les SDF, transformables en fonction des besoins de première nécessité (tente, sac de couchage...). Mais, on l’a déjà dit, ici c’estle règne de du raffinement.

S’habiller en artiste, L’artiste et le vêtement,
jusqu’au 21 juillet, Louvre-Lens, 99, rue Paul-Bert, 62300 Lens.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°654 du 25 avril 2025, avec le titre suivant : L’habit fait-il l’artiste ?

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque