L’expressionnisme mis à nu

Par Manou Farine · L'ŒIL

Le 1 mai 2003 - 334 mots

Riche d’une distinguée collection d’art graphique, dont une importante sélection de dessins de Kirchner, Beckmann et Kokoschka, le Kunstmuseum de Bâle rassemble, en une sobre exposition, des œuvres graphiques principalement issues du groupe Die Brücke (1905-1913) et de leurs contemporains autrichiens. Appuyée par une solide collection de revues d’époque (Der Sturm, Die Aktion), principal support de diffusion des expressionnistes dans les années 1910, l’exposition révèle une parenté flagrante dans le choix des techniques (une large place est offerte à la gravure), la facture primitive et la violence des sujets et donne un aperçu un brin succinct mais passionnant des possibilités offertes par les techniques graphiques, auxquelles les expressionnistes restituent leur autonomie et leur popularité. Abordant les thèmes éminemment académiques du nu et du portrait, ils en renouvellent âprement le genre, y trouvant matière à énoncer une subjectivité affranchie de toute pudeur. Visages longs et sèchement hachurés par Kirchner, figures ciselées de lourds traits noirs chez Heckel, assemblée grotesque et avinée incisée à la pointe-sèche par Beckmann, les portraits offrent un sombre dévoilement de l’âme, relayé avec acuité par la technique du dessin. Rien d’étonnant alors à ce que l’exercice de l’autoportrait s’impose chez la plupart des expressionnistes. Kirchner, Kokoschka et Beckmann s’y adonnent assidûment, exposant sans complaisance corps et visages. La sélection rend compte encore de la violence presque toujours associée au nu. L’Adam et Ève, exécuté en 1917 par Beckmann exhibe deux corps plissés, usés, dont le caractère douloureusement comique signe la perte irrémédiable du paradis originel. Les deux représentants autrichiens que sont Kokoschka et Schiele combinent le nu à une sexualité brutale. Scène de meurtre figurant deux corps traversés de hachures courtes et nerveuses pour le premier, nudité vulnérable aux courbes accidentées vivement croquée par le second. En dépit d’un accrochage d’une sobriété ascétique, le large espace ménagé entre chaque croquis accorde au regard une belle et nécessaire disponibilité, épargnant au visiteur une impression trop souvent brouillonne face aux œuvres graphiques.

Bâle, Kunstmuseum, Sankt-Alban-Graben 16, tél. 20 66 262, 22 février-22 juin.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°547 du 1 mai 2003, avec le titre suivant : L’expressionnisme mis à nu

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