Art contemporain

L’expérience Manifesta à Palerme

Par Cédric Aurelle · Le Journal des Arts

Le 4 juillet 2018 - 666 mots

La consommation éthique et responsable du citoyen, mot d’ordre de l’édition sicilienne de cette biennale nomade, tend à se substituer au principe de l’exposition d’œuvres.

Palerme. Dans sa quête de villes européennes symptomatiques des transformations et enjeux de l’époque, Palerme s’est imposée aux organisateurs de Manifesta. Cette « ville du Moyen-Orient en Europe », selon les termes de son maire Leoluca Orlando, se révèle être un modèle de syncrétisme et de coexistence à cultiver et dont il y a à s’inspirer pour négocier les enjeux du présent. Avec l’hybridation comme mot-clé, le jardin botanique de la capitale sicilienne est naturellement apparu comme l’épicentre de cette édition. Lieu par excellence de l’expérience coloniale du transfert forcé des espèces étrangères pour leur acclimatation au sol indigène, cet espace a été symboliquement reconverti pour Manifesta en lieu de migration naturelle des graines et de leur métissage à l’heure de la globalisation. Inspirée du « jardin planétaire » défini par Gilles Clément et auquel elle emprunte son nom, la manifestation envisage l’homme responsable comme le jardinier de son environnement et de la gestion de sa diversité.

En visitant le jardin botanique, on pourra ainsi découvrir les herbiers de végétaux en plastique et en faïence collectés dans Palerme par le Colombien Alberto Baraya et réunis dans un esprit taxonomique. Dans le bosquet de bambous, un grand écran diffuse les vidéos du Chinois Zheng Bo. Dans Pderidophilia, quasiment la seule pièce un tant soit peu troublante de la manifestation, de jeunes hommes font l’amour avec des plantes. Partant de cet épicentre « naturel » qui semble préservé des mutations du paysage à l’ère de l’Anthropocène, Manifesta se déploie dans un ensemble de palais baroques où l’extravagance de l’architecture le dispute à la déliquescence de leur état de conservation. Dans le palais Forcella De Seta, sorte de fortin noble défiant l’horizon maritime, sont réunis des artistes interrogeant la question migratoire et la notion de frontière. Le collectif Forensic Oceanography produit par exemple un ensemble de documents vidéo et images digitales analysant les effets des décisions européennes sur la survie (ou non) des migrants en Méditerranée. L’Américaine Laura Poitras réalise un ensemble de films autour du satellite américain stratégique pour le contrôle militaire de la région. Au palais Ajutamicristo, Tania Bruguera documente la résistance citoyenne contre cette même antenne satellite destinée à faire la guerre à distance et qui a une incidence néfaste sur la santé des populations locales.

L’art au service de la formation citoyenne

Dans l’enclos de l’église Santa Maria dello Spasimo, impressionnante nef à ciel ouvert, le collectif Cooking Sessions a reproduit un système traditionnel de muraille de brique permettant ventilation et retenue d’eau pour les citronniers. Le projet trouve son prolongement dans une collaboration avec des restaurants locaux où l’on peut déguster de la nourriture cultivée dans le respect de ce principe peu consommateur d’eau. Non loin de là, les chanceux tomberont sur une filandière à son rouet semblant sortie d’un conte médiéval pour hipsters et filant une laine de moutons hollandais.

À l’exposition comme principe dramaturgique visuel et sonore, Manifesta substitue une logique d’expériences pour le visiteur dont les maîtres mots sont : « durable », « écologique » et « local ». Cette mutation contemporaine de l’esthétique relationnelle en principe de consommation éthique et responsable offre au visiteur un parcours visant à la rédemption. Celui-ci est responsabilisé individuellement par son engagement dans une série d’expériences du type « mon geste pour la planète » ou « ma rencontre avec l’habitant » qui signent la conversion de l’exercice de la biennale en outil de formation citoyenne à l’usage des politiques.

Dans ce contexte, la production de siècles de ferveur iconodoule et syncrétique, corrompue par les ans et l’incurie méridionale, offre à la manifestation un arrière-plan qui met en relief une austérité formelle servant un programme d’ajustement culturel évocateur d’un schéma de domination économique Nord-Sud. Avec Marseille dans le viseur, prochaine étape de Manifesta en 2020, se pose la question de la présence d’un esprit méridional dans ce qui n’est pas l’ultime territoire à défricher mais un contexte déjà structuré par des formes baroques de coexistence.

manifesta palermo

jusqu'au 4 novembre, manifesta.org

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°505 du 6 juillet 2018, avec le titre suivant : L’expérience Manifesta à Palerme

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque