Les voluptés de Bellange

Rennes expose l’ensemble de ses gravures et de ses dessins

Le Journal des Arts

Le 2 mars 2001 - 676 mots

En réunissant toutes les gravures de Jacques de Bellange (v. 1575 ?-1616), ainsi que la plupart de ses dessins, le Musée des beaux-arts de Rennes dévoile une œuvre unique, où la fantaisie le dispute à l’ambiguïté.

RENNES - Le portrait équestre du baron d’Ancerville occupe une place à part dans l’œuvre de Bellange. Dessin à la plume et à l’aquarelle sur vélin, il s’inscrirait, par son raffinement et sa solennité, dans la grande tradition des Clouet, si le contour tourmenté de la main non gantée, s’appuyant sur le bâton de commandement, ne venait jeter le trouble sur cette représentation paisible. Dans cette extrémité au profil méphistophélique, toutes les passions du noble cavalier semblent se condenser, comme si, contraint par l’étiquette, l’artiste n’avait pu s’offrir que cette discrète fantaisie. Hors de ses travaux officiels, dans telle Scène de bataille chaotique, par exemple, il laisse libre cours à sa virtuosité, multiplie les inventions, mais aussi les ambiguïtés. Élongation des figures, poses aux gracieuses contorsions, coiffures savantes, sophistication exacerbée... Incontestablement, l’art de Bellange peut être affilié à la grande Internationale du Maniérisme, qui unit Haarlem à Prague ou à Fontainebleau, mais, note Jacques Thuillier, “héritier des raffinements ‘maniéristes’, Bellange cherche au contraire à faire ce que ne font point les autres”. Un dessin comme Le Christ dépouillé de ses vêtements montre son peu de souci pour la vraisemblance, anatomique ou spatiale, mais ce sont surtout les ambiguïtés sexuelles de ses personnages qui ont intrigué et fasciné amateurs et historiens. Ainsi, bien malin qui pourrait affirmer avec certitude que telle Étude de femme à demi nue, appartient effectivement au genre féminin. De même, dans la fondamentale série gravée Jésus et les apôtres, la coiffure en chignon aux boucles élégantes, les gestes affectés, le corps menu à la pose gracieuse, perdu dans un tourbillon de draperies, gomment le caractère masculin de saint Jean l’Évangéliste. L’importance de cette série, dans laquelle chaque figure est l’objet d’une nouvelle invention, rappelle le caractère essentiellement sacré de l’art de Bellange. Et Jacques Thuillier fait volontiers de lui un représentant caractéristique de la Contre-Réforme en terre de Lorraine. Voire. Malgré ses choix iconographiques, l’artiste n’hésite pas à déroger à un trop strict décorum, en introduisant de voluptueux détails dans des scènes aussi solennelles que le Portement de croix. Pourquoi cette femme approche-t-elle sa main des fesses rebondies d’un soldat, mises en valeur par un collant très ajusté ? Sans se risquer à des interprétations hasardeuses, on peut au moins s’interroger sur ses intentions. Il est vrai toutefois qu’un même esprit sensuel unit la Pietà gravée avec les Madeleine lascives de Guido Reni ou la Sainte Thérèse de Bernin. En l’espèce, sa technique virtuose, notamment dans le rendu des chairs, s’avère alors une précieuse alliée. Quoique ses gravures, par leur qualité, aient sauvé le Lorrain de l’oubli, il semble y être venu plus tardivement, à un moment où il est déjà en possession de ses moyens de peintre et de dessinateur. Alors que le dessin préparatoire de La Sainte Famille avec sainte Anne et la Madeleine témoigne d’une maîtrise accomplie, les estampes correspondantes se révèlent encore bien maladroites. En revanche, ses grandes planches, Le Martyre de sainte Lucie, Le Portement de croix et L’Adoration des Mages, le placent parmi les plus grands graveurs, aux côtés de Dürer, Rembrandt et Callot.
Ce titre de gloire l’a peut-être occulté, mais Bellange était d’abord peintre. Seul un tableau, le Ravissement de saint François, lui est aujourd’hui attribué. Toutefois, au-delà des documents attestant son activité à la cour de Lorraine, plusieurs dessins, à l’instar des Saints martyrs témoins de la Foi, constituent vraisemblablement des études pour des retables. Au Christ au tombeau avec un donateur, correspondent même plusieurs copies de la toile originelle, disparue, dont le clair-obscur semble annoncer la venue en Lorraine d’un autre génie : La Tour.

- JACQUES DE BELLANGE (v. 1575 ? -1616), jusqu’au 14 mai, Musée des beaux-arts, 20 quai Émile-Zola, 35000 Rennes, tél. 02 99 28 55 85, tlj sauf mardi et jours fériés, 10h-13h et 14h-18h. Catalogue par Jacques Thuillier, 368 p., 390 F.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°122 du 2 mars 2001, avec le titre suivant : Les voluptés de Bellange

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