musée

Les Vivian Girls d’Henri Darger

L'ŒIL

Le 1 juillet 2001 - 470 mots

A Villeneuve d’Ascq, l’exposition d’été « La planète exilée, Art brut et Visions du monde » rassemble plus de 150 œuvres provenant de la donation de l’Aracine et de diverses collections publiques et privées. Elle met l’accent sur les relations entre les productions plastiques et les écrits bruts des auteurs, la façon dont ces artistes internés ou isolés s’emparent des éléments du monde réel (illustrations de journaux, publicités) et les intègrent à leur monde imaginaire. Parmi les quelque 40 artistes exposés, arrêtons-nous sur Henri Darger. A l’origine, celui-ci avait le projet d’écrire un conte pour enfants, dont les héroïnes, les Vivian Girls, des fillettes de cinq à sept ans, menaient une guerre pour délivrer « les enfants esclaves » du joug des adultes. Ce récit est une épopée de plus de 15 000 pages qu’il ne tarda pas à illustrer, terme peu adéquat pour parler de ses immenses peintures à l’aquarelle. Ce sont des scènes d’enfants naïves comme on peut en trouver dans les livres d’images ou les albums de coloriage. Des fillettes coquettement vêtues ou nues s’ébattent dans une nature paradisiaque. Cette impression de ravissement est troublée lorsqu’on s’aperçoit que certaines de ces fillettes ont un pénis, que très souvent ces enfants ont l’air effrayé et courent en tous sens, semblant fuir des orages terrifiants... En vérité, cette guerre n’est pas un jeu. Le conflit est effroyable entre les sept Vivian Girls conduisant leurs troupes et ces bataillons d’adultes qui massacrent, étranglent et démembrent les enfants. Pour faire entrer ces « enfants trouvés » dans son monde imaginaire et se les approprier, Darger les adopte. Utilisant des techniques enfantines, il les découpe, les décalque, les colorie, les soumet à un traitement plastique par ajout, manipulation, répétition ou agrandissement. Il ne compose pas un univers dont il serait l’auteur séparé, il est engagé dans la création de son monde. Il est comme le peintre chinois qui disparaît dans son paysage. « Moi aussi, dit Walter Benjamin dans ses réflexions sur la couleur, quand j’étais à mes godets et mes pinceaux, j’étais brusquement perdu dans le tableau... ». Avec l’aquarelle, Darger fait du « coloriage ». Sa technique exige que la couleur remplisse exactement un contour. Mais dans le même temps qu’elle exerce son emprise, elle peut se poser n’importe où. Les harmonies séduisantes et singulières de ses couleurs ont une valeur affective, elles dissimulent puis révèlent la nature de son monde parallèle. C’est probablement la couleur qui plonge l’auteur dans la scène, il y pénètre non en cherchant un point de distance, mais au contraire en faisant qu’il n’y en ait plus. « La couleur me possède, écrivait Paul Klee, point n’est besoin de chercher à la saisir ».

- VILLENEUVE D’ASCQ, Musée d’Art moderne Lille Métropole, 1, allée du Musée, tél. 03 20 19 68 68, 3 juin-7 octobre.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°528 du 1 juillet 2001, avec le titre suivant : Les Vivian Girls d’Henri Darger

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