Les turqueries de Versailles

Topkapi s’installe dans le palais de Louis XIV

Le Journal des Arts

Le 28 mai 1999 - 761 mots

Les trésors de Topkapi ont quitté leur palais pour rejoindre le temps d’une exposition celui de Louis XIV. Versailles oblige, les XVIIe et XVIIIe siècles sont privilégiés, dans un parcours intelligent qui évoque le fonctionnement de cette « ville dans la ville » et l’exercice du pouvoir par les sultans, en s’appuyant sur des pièces d’une qualité exceptionnelle.

VERSAILLES/PARIS - Après Taiwan l’an dernier et le Maroc il y a quelques semaines, vient le tour de la Turquie pour une de ces belles expositions diplomatiques, destinées à “célébrer l’amitié entre les peuples turc et français”. “Topkapi à Versailles” permet de découvrir les trésors de la cour ottomane, habituellement présentés dans le fameux palais d’Istanbul, siège du pouvoir du XVe au milieu du XIXe siècle. Si le musée français, au départ peu enclin à accueillir la manifestation, a obtenu le prêt de nombreuses pièces d’exception, les commissaires de l’exposition ont su dépasser le simple alignement de merveilles offertes à l’ébahissement des visiteurs pour évoquer intelligemment le mode de fonctionnement de cette “ville dans la ville”, qui compta jusqu’à 14 000 personnes. Le parcours est ainsi scandé par l’évocation des différentes cours du palais, de la première – ouverte à tous – à la plus secrète qui abrite les appartements du Sultan et le fameux Harem. Une réserve néanmoins, le château de Louis XIV n’était peut-être pas l’endroit le plus indiqué pour ce type d’événement. Les salles d’exposition un peu exiguës et plongées dans la pénombre pour la conservation des œuvres graphiques et textiles provoquent en effet une certaine sensation d’étouffement. Pas d’ouverture rafraîchissante, comme à Istanbul, sur le paysage !

Versailles oblige, le Topkapi des XVIIe et XVIIIe  siècles est privilégié, mais les pièces exposées dépassent ce cadre chronologique, comme l’impressionnant trône d’or sorti pour la première fois de Turquie, que l’on retrouve sur un tableau, La cérémonie d’allégeance à Sélim III en 1789. La mise en scène du trône n’est pas loin d’évoquer cette toile, avec la procession de mannequins vêtus de caftans convergeant vers lui. Le palais de Topkapi conserve en effet une importante collection de costumes de cérémonie, toujours dans un état remarquable grâce à une saine coutume : “À la mort d’un sultan, on plie ses vêtements, on les étiquette et les pages les entretiennent”, explique Béatrix Saule, l’une des commissaires. Ils rejoignaient alors le Trésor, qui était en partie alimenté par les butins ramenés des provinces conquises.

L’exceptionnel ensemble de céramiques chinoises, l’un des plus importants hors de Chine avec ses 10 358 pièces du XIIIe au XVIIIe siècle, provient ainsi en partie des pillages perpétrés à Tabriz, en Perse, ou en Égypte. “Il n’était pas question de présenter un éventail aussi large, explique Jean-Paul Desroches, l’un des commissaires. Nous avons donc effectué un choix des pièces les plus rares” : de splendides “blanc et bleu”, des céladons… qui d’ailleurs conservaient à la cour leur valeur d’usage.

Des collectionneurs avides
La salle suivante, consacrée à l’art de la calligraphie et de la miniature, est sans doute la plus belle. Il faut mettre au crédit des sultans turcs le goût des livres précieux, qu’ils collectionnèrent avec passion, parfois aidés par les prises de guerre. Si les miniatures ottomanes n’égalent pas le raffinement des œuvres safavides ou mogholes, celles de Levni, au début du XVIIIe siècle, placées un peu plus loin dans le parcours, se distinguent par une sensibilité nouvelle à la couleur et à lumière, grâce auxquelles les figures gagnent en volume. Ses élégantes odalisques tentent d’évoquer l’atmosphère de ce mystérieux Harem où personne n’était autorisé à pénétrer, et surtout pas les artistes. Ce “trésor” était aussi jalousement gardé que l’authentique Trésor, délesté pour l’occasion de certains de ces chefs-d’œuvre, tels un Coran marocain de 1572 ou la matara en cristal de roche, or et pierres précieuses. Cette gourde de cérémonie constituait l’un des trois signes de la souveraineté du Sultan ; elle témoigne d’une remarquable “continuité avec l’art byzantin”, qui est aussi un “art d’accumulation”, observe Jean-Paul Desroches. Les autres pièces réunies dans cette salle du Trésor confirment cette analyse, notamment ces aigrettes littéralement couvertes de rubis, diamants et émeraudes. Les fastes versaillais semblent soudain bien modestes...

- TOPKAPI À VERSAILLES - TRÉSORS DE LA COUR OTTOMANE, jusqu’au 15 août, château de Versailles, 78000 Versailles, tél. 01 30 83 76 43, tlj sauf lundi 11h-18h, 9h-11h pour les groupes. Catalogue RMN/AFAA, 350 p., 345 F. - FLEURS ET JARDINS DANS L’ART OTTOMAN, jusqu’au 28 juin, Trianon de Bagatelle, Route de Sèvres à Neuilly, Bois de Boulogne, 75016 Paris, tél. 01 45 01 20 10, tlj sauf mardi 11h-18h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°84 du 28 mai 1999, avec le titre suivant : Les turqueries de Versailles

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