New York

Les rondels font le printemps du Met

Les verres soufflés des Pays-Bas aux XVe et XVIe siècles

Le Journal des Arts

Le 1 juin 1995 - 691 mots

Utilisés tout d’abord dans la composition des vitraux de cathédrales, les rondels – des verres soufflés ronds – ont ensuite servi comme éléments de décor aux demeures bourgeoises. Produits en très grande quantité en France, en Allemagne, en Angleterre et surtout aux Pays-Bas, ils font l’objet d’une première grande exposition.

NEW YORK (de notre correspondant) - "Les premiers rondels étaient sans doute des cives [des verres soufflés ronds utilisés dans la composition des vitraux] sur des verrières de cathédrale en grisaille, explique Timothy B. Husband, commissaire de l’exposition et conservateur au Musée des Cloisters à New York, mais le sommet de leur popularité a coïncidé avec l’essor de la classe marchande urbaine.

Au XVe siècle, on bâtissait moins de cathédrales, et les vitraux, naguère destinés aux édifices du culte, sont devenus des éléments de décor pour les demeures d’une bourgeoisie en pleine ascension. Aucun n’a survécu dans son cadre originel, mais les peintures de l’époque nous apprennent que les rondels étaient généralement entourés d’un filet de verre coloré et insérés dans des vitrages losangés en verre transparent. Nous avons essayé autant que possible de recréer cet effet dans notre présentation."

Produits en très grande quantité en France, en Allemagne, en Angleterre et surtout aux Pays-Bas, les rondels abordent une vaste thématique, de l’imagerie religieuse populaire aux personnifications des mois, en passant par des scènes de la mythologie classique ou du folklore. "Comme il s’agit de commandes privées, les rondels ont un ton très franc et direct, qui est souvent absent de l’art officiel de cette période", précise Timothy B. Husband.

La Mort compte parmi les thèmes les plus appréciés : ainsi, un rondel montre un squelette volant qui embroche un paysan, un noble, un Pape, et n’épargne ni le bétail (représenté les pattes en l’air) ni les poissons d’un ruisseau (le ventre à l’air).

Les rondels avaient beau être destinés à de simples bourgeois, ils étaient souvent conçus par les meilleurs artistes de l’époque : l’exposition présente une belle série de dessins préparatoires très aboutis, produits par des maîtres tels que Jan Gossaert, Pieter Coecke van Aelst, Jan Swart van Groeningen et Dirck Crabeth. Dans bien des cas, ces ébauches ont servi à réaliser des broderies, des ornements de manuscrits, des peintures sur panneaux.

L’exposition permet de découvrir un panneau de verre de Lucas van Leyden, Le Triomphe de David, dont Karel van Mander, auteur d’une biographie posthume de l’artiste, fait l’éloge, et que l’on croyait perdu, bien que Timothy B. Husband l’ait identifié dans les collections de l’Ambrosiana, à Milan.

Pour la plupart des peintres des Pays-Bas, les vitraux constituaient une activité accessoire, mais Dirck Vellaert, maître anversois (vers 1485–1547), a dû l’essentiel de sa renommée à ses créations dans ce domaine : il est l’auteur de la verrière émaillée de la chapelle de King’s College, à Cambridge, et de la grande rosace de la façade de l’église Sainte-Marie de Lübeck. Vellaert peignait sur panneaux, exécutait des gravures, et en véritable artiste de la Renaissance, signait de son monogramme "D * V".

En dépit des iconoclastes de la fin du XVIe siècle, nombre de rondels ont survécu. Après le retour à l’Église des monastères des Flandres au début du XIXe siècle, sous Napoléon, les rondels connaissent une vogue nouvelle, surtout en Angleterre, où des collectionneurs excentriques comme Horace Walpole sont au diapason du monde "gothique". D’après Timothy B. Husband, "les rondels se vendaient pour une bouchée de pain, et souvent au poids.

Au milieu du XIXe siècle, on a importé en Angleterre des tonneaux pleins de vieux rondels qui ont été incorporés aux verrières des nombreuses petites églises édifiées à l’époque aux quatre coins de l’Angleterre, dans une sorte de gothique rural. Ce faisant, on sortait les rondels de leur contexte séculier, pour les rendre aux églises."

Au cours des années trente, le Metropolitan et les Cloisters ont acquis nombre de rondels, mais ce n’est qu’au cours du dernier quart de siècle que le musée a entrepris de les rechercher plus activement.

"Luminous Images : The Painted Roundel in the Lowlands, 1480-1560" (Images lumineuses : le rondel peint aux Pays-Bas, 1480-1560), Metropolitan Museum of Art, New York, jusqu’au 20 août.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°15 du 1 juin 1995, avec le titre suivant : Les rondels font le printemps du Met

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