Les rites de Pipilotti Rist

La Suissesse à Berlin

Le Journal des Arts

Le 24 avril 1998 - 702 mots

Pipilotti Rist développe depuis quelques années une œuvre originale et exubérante d’inventivité. L’exposition, qui présente ses pièces vidéos et cinématographiques, est présentée en primeur à Berlin avant de tourner en Europe et de venir à la fin de l’année au Magasin de Grenoble.

BERLIN (de notre correspondante) - L’idée de l’exposition est en germe depuis 1995, année que Pipilotti Rist a passée à Berlin dans le cadre du DAAD (programme d’échanges académiques allemand). Le clou de la manifestation est une installation de 600 m2 conçue spécialement pour l’aile orientale du musée. The Remake of the Weekend est présentée dans le catalogue de l’exposition comme “un film où l’on peut entrer”. Elle est accompagnée de plusieurs œuvres récentes, comme Pamela ou Ever is over all, une pièce déjà montrée à la Biennale de Venise et acquise par la Hamburger Bahnhof pour sa collection permanente.

Après avoir étudié à l’Académie des arts appliqués de Vienne puis s’être perfectionnée en audiovisuel à Bâle, cette jeune femme de trente-six ans est à la fois auteur, camerawoman et actrice, jouant habituellement elle-même dans ses productions. Elle invite également les spectateurs à pénétrer dans son espace de projection pour mêler l’ombre de leur corps aux images, aux mouvements et aux couleurs. Elle n’attend pas seulement d’eux qu’ils regardent ses films, mais qu’ils les intègrent dans leur expérience individuelle. Par ces “espaces d’expérimentation”, elle espère lutter contre la passivité habituelle des spectateurs face à un écran de télévision.

L’un des objectifs de Pipilotti Rist est d’amener les adultes à accepter de perdre le contrôle de leur comportement et de redevenir en quelque sorte des enfants : “Perdus au fond d’un immense fauteuil, les spectateurs devraient à nouveau éprouver ce qui leur paraissait évident en tant qu’enfant : que tout est à eux. Parce que tout enfant se prend pour le centre du monde et que tout lui appartient”.

Sur l’écran comme dans la vie réelle, Pipilotti aime être bien habillée. Avec ses rouges à lèvres éclatants, ses sacs et ses vêtements affriolants, elle semble prendre grand plaisir à cette féminité aguicheuse : “Les vêtements, le ma­quillage et les bijoux sont une part de la culture féminine dont je suis fière”, dit-elle. Sa manière d’exalter la dimension colorée de la féminité lui a valu l’admiration du mouvement féministe, bien qu’elle ne cherche pas à donner une portée politique à son travail.

Pipilotti Rist aime inviter les autres à participer à ses jeux. En lieu et place d’un catalogue d’exposition “sérieux”, elle a constitué un livre d’artiste en demandant aux auteurs de composer quelque chose de “personnel” – qu’ils devaient écrire dans une forêt plutôt qu’à leur bureau. Que les auteurs aient répondu  ou non à sa requête, leurs contributions sont peu ordinaires. Ainsi l’essai de la commissaire Britta Schmitz, une lettre intime adressée à l’artiste : “Chère Pipilotti... je ne sais comment tu arrives à chorégraphier nos rêves éveillés, à mettre en scène nos activités pour les transformer en une sorte de jeu quotidien. À nous plonger dans l’anarchie. À laisser se produire des choses bonnes et agréables”.
Un peu plus loin, Britta Schmitz confie comment l’artiste lui a inspiré la réorganisation de sa collection de disques, la musique ayant une grande importance dans son œuvre. Pipilotti Rist, qui a joué pendant huit ans de la contrebasse et de la batterie dans un orchestre composé uniquement de filles, “Les Reines Prochaines”, compose souvent la bande sonore de ses vidéos. Ancienne scénographe de films ou de vidéos musicales, elle s’inspire profondément de la musique pop et de toutes les formes de la culture des médias.

Son nom d’artiste se compose de deux surnoms d’enfant accolés : née Charlotte Rist en 1962 dans le canton de Saint-Gall, sa famille l’a appelée “Lotti”, et y a ajouté “Pipi”, d’après le personnage d’Astrid Lindgren, Pippi Long­stocking (Fifi Brin d’Acier). Comme elle, Rist est insolente, rebelle et libre d’esprit. Elle refuse les approches académiques et l’élitisme du monde artistique. Par ses présentations délirantes d’histoires espiègles, elle espère “provoquer des émotions, inspirer force et joie”.

PIPILOTTI RIST, THE REMAKE OF THE WEEKEND, jusqu’au 1er juin, Hamburger Bahnhof, Inwaleden­strasse 50, Berlin, tél. 49 30 397 83 415, tlj sauf lundi 10h-18h, jeudi 10h-20h, sam. et dim. 11h-18h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°59 du 24 avril 1998, avec le titre suivant : Les rites de Pipilotti Rist

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