Les prémices d’un grand chambardement

François Cheval ne veut pas \"muséifier\" le Musée Niépce de Chalon-sur-Saône en un bloc inamovible

Le Journal des Arts

Le 6 octobre 2000 - 969 mots

Trois ans après son arrivée, le nouveau conservateur du musée Nicéphore-Niépce de Chalon-sur-Saône, François Cheval, propulse l’institution dans le millénaire, en immergeant la création dans les rues de la ville, ne serait-ce que le temps d’un week-end (Le Grand Album, à La Sucrerie du jeudi 21 au dimanche 24 septembre), tout en faisant le point sur les collections, par une exposition à l’intérieur du musée (« Histoires parallèles »). Une démarche salutaire pour aller de l’avant.

CHALON-SUR-SAÔNE - Dans le pays qui l’a vu naître, la photographie, ancienne ou contemporaine, n’a toujours pas trouvé de statut digne de la place qu’elle tient dans les imaginaires ou dans le commerce des idées. Ballottée entre l’art et la technique, entre musées ou bibliothèques comme un parent pauvre, on peut gager qu’elle supportera mal la mondialisation et sa petite sœur la numérisation. Le musée de Chalon-sur-Saône, provincial mal aimé de nos élites, se trouvait marginalisé dans la conservation de reliques sans crédit  international (on n’oubliera pas que la “première photo” du monde, une héliographie réalisée par Niépce, se trouve confinée à Austin, au Texas). En choisissant de se placer sous l’autorité  tutélaire de Nicéphore Niépce (“porteur de la victoire”), et de se désolidariser de l’autisme habituel de nos institutions autosatisfaites, le conservateur du Musée Niépce veut enfin considérer la photographie pour ce qu’elle est : le grand médium des temps modernes, y compris les temps à venir. Car les principes de la prise de vue, aussi numérisée soit-elle, ne disparaissent pas avec les nouvelles technologies,  les fonds ne deviennent pas obsolètes, comme le montrent les rachats opérés par les hyperagences américaines (Corbis, Getty). Au contraire, l’intérêt n’en est que redoublé.

Pour le Grand Album, destiné à “retrouver la curiosité, l’invention, l’ouverture et la générosité” de la ville, 12 photographes ont été invités (sans qu’on leur demande, pour une fois, d’être nommément des “artistes”) pour des créations originales strictement en relation avec les habitants de Chalon, leurs préoccupations et leur quotidien, de telle sorte que ceux-ci puissent s’y “retrouver”. Les tirages, ou parfois, bandes vidéo (Sarah Moon, Peter Knapp) resteront acquis au musée, c’est-à-dire à la communauté. Les présentations sont disséminées dans la ville, sur des structures en bois blanc, sans recherche d’effet, sur une place de marché, dans un square, au beau milieu d’une rue, afin que les habitants n’aient pas à faire d’effort particulier pour se voir eux-mêmes “en photo”. Car à la différence des habituelles expériences qui installent un simple studio en plein air, chacune de ces démarches a l’intelligence de ne pas flatter le narcissisme du citoyen anonyme mais de lui tendre un miroir réflexif plus que réfléchissant. La dialectique de l’individuel et du collectif peut être efficace, mais c’est une mécanique de précision.

Une géométrie savante
Denis Darsacq a certainement le mieux réussi le questionnement que doit susciter une photographie sans légende, et l’intégration de ses images dans le paysage urbain, en photographiant, en couleurs, des groupes de jeunes dans des lieux publics (marchés, collèges), d’un premier étage de bâtiment, sur fond de gravier, de cour bétonnée ou de macadam. Les variations d’échelle des corps, les obliques des points de vue replacés à hauteur d’œil, créent une géométrie savante, qui n’est autre que le réseau de tout regard actif et curieux, en quête d’identités reconnaissables. Gérald Petit (déjà présenté récemment au musée) a produit des pièces qui jouent en deux registres, statique et dynamique, sur les rencontres masculin/féminin. Jean-Luc Moulène a édifié une gloriette gentiment dérisoire pour d’anciennes reines de quartier de la ville ; Jean-Luc Dorchies s’est livré à une enquête mimée sur le thème “j’ai toujours rêvé d’être…” Le reporter Francesco Zizola a poursuivi un témoignage révélateur sur les immigrés de Chalon. Enfin, les aînés que sont Sarah Moon et Peter Knapp ont accepté de réaliser (visiblement avec bonheur) chacun un film vidéo, la première – versant mélancolique – en demandant aux habitants de commenter la photographie à laquelle ils tiennent le plus, le second – versant drolatique – en retenant les commentaires positif/négatif des interviewés (des jugements de valeur péremptoires).

Mais l’habileté a été de ne pas isoler la photographie d’une tradition de spectacle ; Chalon est connue pour son carnaval et pour son festival des arts de la rue, auquel le Grand Album apporte une résonance : les interventions sonores de Yann Paranthoen, de Cécile Le Prado (dans une tour de l’église), de Marina Babakoff et Jérôme Devanne (dans un curieux passage sous immeuble), les programmations musicales sur plusieurs jours auront fait exploser ce qu’on appelle dans la capitale une “manifestation photographique” ; quant à la notion d’exposition, elle n’existe (heureusement) plus.

Car la photographie n’est peut-être pas faite pour être exposée… Une telle générosité n’est certes pas pensable à Paris… Ce faisant, François Cheval veut indiquer qu’il ne faut pas compter sur lui pour muséifier le Musée Niépce et son contenu, en un bloc inamovible. Il regarde même vers La Sucrerie, où avaient lieu toutes les soirées, pour y implanter un futur centre de l’image destiné à faire vivre (circuler) les photographies amassées depuis vingt-cinq ans. Il fait du reste le point sur ses collections par une exposition de 400 photos du fonds (dans le musée), accompagnée d’un catalogue, réalisée par un collectif d’une dizaine d’experts (presque tous parisiens…). Les disparités des choix, des découpages et des préoccupations de chacun, dans une scénographie précieuse, n’empêchent pas les découvertes : une vue des catacombes de Nadar, une composition de Loydreau, un album d’études viticoles, les ateliers Schneider de Saint-Étienne, et le semi-anonymat des photographies d’agence ou d’amateurs, ce tout-venant de la photographie qui pourrait être la vraie spécificité d’un pôle-image à venir, sous les auspices de Niépce.

- HISTOIRES PARALLÈLES, jusqu’au 11 février 2001, Musée Nicéphore-Niépce, 28 quai des Messageries - 71100 Chalon-sur-Saône, tél. 03 85 48 41 98, tlj, sauf mardi, 9h30-11h30 et 14h30-17h30

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°112 du 6 octobre 2000, avec le titre suivant : Les prémices d’un grand chambardement

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