Couture

Les petites mains d’Annette Messager

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 24 novembre 2015 - 745 mots

Le Musée des beaux-arts et la Cité de la dentelle de Calais accueillent opportunément des travaux de l’artiste faisant référence au monde de la couture, dont certains témoignent d’une forme d’apaisement.

CALAIS - Un peu partout à Calais, comme ailleurs, trône l’affiche de Spectre 007, le dernier James Bond. Sauf au Musée de la Dentelle où, grâce à Annette Messager, d’autres fantômes, ceux des couturières, font leur apparition dans la très grande salle située à l’entrée de l’exposition. Comme il se doit plongés dans la pénombre, les outils qui ont servi à la fabrication d’une grande finesse des « travaux de dames » partagent le même espace. Outils a priori réservés aux travailleuses mais qui peuvent prendre, à l’occasion, la dimension d’une critique révoltée et une allure agressive et menaçante. Ici, suspendus au plafond, ces objets familiers – des ciseaux (très nombreux), des pinces, des épingles à nourrice et autres aiguilles en skaï noir et remplis de kapok – des « soft sculptures » agrandies démesurément se transforment en monuments monstrueux et inquiétants (Les spectres des couturières, 2014-2015). La puissance de cette installation réside dans le dialogue qu’elle instaure avec son cadre et avec les travaux déjà chargés de souvenirs et de traces, dont Annette Messager « redécouvre » la mémoire. À côté, un hommage appuyé à celles qu’on appelle paradoxalement les « petites mains », une œuvre réalisée à partir de sept rubans de couturière qui dessinent une silhouette. Une façon de rappeler que derrière les matériaux qui servent à confectionner différentes étoffes se trouve un personnage humain, une femme en l’occurrence. Ce n’est pas un hasard si un des cycles de travaux de l’artiste se nomme « Mes travaux d’aiguille ».

Un propos plus apaisé et moins rude
Dans sa critique de la condition féminine, l’artiste n’oublie jamais la dérision mordante, l’humour noir. Ainsi, Pénétration (1977) faite en dentelle de Bayeux d’un rouge écarlate, est une figure allongée sur un petit matelas. Inévitablement, on songe à la remarque ironique de l’écrivaine autrichienne Elfriede Jelinek : « Les femmes sont prédisposées à la couture qu’elles ont dans le sang. Elles n’ont plus qu’à saigner ». Ailleurs, Soutiens-Gorge (2015) est fabriqué, comme son nom l’indique, de soutiens-gorge accrochés au mur et qui prennent la forme d’une araignée. Un rappel d’Arachné, la jeune fille qui défia Athéna par ses talents de tissage et qui fut métamorphosée en araignée, mais encore plus un rappel à la fameuse araignée de Louise Bourgeois. Toutefois, à la différence de cette dernière, l’œuvre colorée d’Annette Messager  prend des accents plus légers, laisse entrer un brin de badinage. Curieusement, c’est cet aspect qui semble prendre de plus en plus d’importance dans la production plastique récente de l’artiste, comme si une forme d’apaisement se substituait à la cruauté discrète, mais terriblement efficace, qu’elle maniait systématiquement. Une tendance qui se confirme au Musée des beaux-arts où se prolonge l’exposition. Sans doute, on y croise encore son vocabulaire habituel : des peluches, des pantins désarticulés, tel celui de Pinocchio ou des traversins qui s’empilent – une impressionnante accumulation, Histoires des traversins 1996-2015 accueille le visiteur. Cependant, on a l’impression que la baisse de tension qui caractérise les travaux de l’artiste donne lieu à des œuvres moins dérangeantes.

Pourtant Les Interdictions sont d’une efficacité redoutable : un mur entier couvert de panneaux d’interdiction que l’artiste glane sur Internet et dont une partie est authentique, tandis que d’autres sont de pures fantaisies, des inventions ou des parodies humoristiques ou absurdes. Sur le côté, on peut lire la fameuse inscription de Mai 68, « Il est interdit d’interdire ». Impossible de se tromper quant à l’intention d’Annette  Messager, mais la solution plastique paraît un peu facile, le message un peu trop univoque.

A contrario, quand on sait que la dimension politique dans le sens large n’est jamais absente de ses travaux, on est étonné par le peu de place que prend la situation dramatique des réfugiés, parqués à peine à un kilomètre du musée. Certes, selon la commissaire Barbara Forest, une œuvre comme Notre Planète (2015) – trois sphères en toile de parachute sur lesquels Messager a peint les continents et qui se gonflent et dégonflent à l’aide d’un compresseur – « ne pouvait pas autant résonner qu’à Calais où s’échouent les migrants ». Laissons la responsabilité de cette affirmation à Barbara Forest, mais il semble que le message de l’artiste passe mieux quand elle aborde la difficulté des rapports hommes-femmes.

Annette Messager

Commissaire : Barbara Forest
Œuvres : 15

Annette Messager, Dessus Dessous

Jusqu’au 15 mai 2016, Calais, Musée des beaux-arts, 25 rue Richelieu, 62100 Calais, tél 03 21 46 48 40, www.musee.calais.fr, mardi-dimanche 10h-12h et 14h-18h. Cité de la dentelle et de la mode, 135 quai de Commerce, tél 03 21 00 42 30, www.cite-dentelle.fr, mercredi-lundi, 10h-17h, Pass exposition pour les deux musées, valable une semaine 5 € . Catalogue éditions Dilecta, 128 p.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°446 du 27 novembre 2015, avec le titre suivant : Les petites mains d’Annette Messager

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