Les mobiles de Mobile TV

Pierre Huyghe conçoit une télévision locale

Par Philippe Régnier · Le Journal des Arts

Le 24 octobre 1997 - 569 mots

Dans le cadre des vingt ans du centre d’art contemporain Le Consortium et du festival “Nouvelles Scènes 1997”?, Pierre Huyghe a conçu une télévision locale autorisée par le Conseil supérieur de l’Audiovisuel et diffusée dans un rayon de quinze kilomètres autour de Dijon. Cette chaîne insolite émet sur le canal 48 V trois heures par jour, de 21h à minuit, sept jours sur sept, jusqu’au 20 novembre. Un tiers des programmes sont réalisés par l’Association des temps libérés (artistes, musiciens, cinéastes…), un tiers par les partenaires locaux, le reste provenant de matériaux déjà constitués (Institut national de l’audiovisuel, courts et longs métrages…). Cette télévision a pour ambition d’être à la fois associative, artistique et éducative. Pierre Huyghe nous expose sa conception de “Mobile TV”?, réalisée avec la collaboration d’équipes artistiques et techniques.

Vous avez déjà conçu une télévision-pirate à Villeur­banne en 1995. Quelle est votre motivation pour ce type de projet, qui se prolonge ici sur un mois ?
Cette télévision nomade a débuté au Nouveau Musée, où elle était plus expérimentale (elle n’avait émis que pendant 24 heures). J’avais envie de renouveler cette expérience, mais sur une durée plus longue. Mes motivations sont multiples. Évidemment, elles sont liées à mon travail autour de cette notion d’agencement, d’interprétation, d’outil, de partition. S’il y a une écriture, elle se situe du côté de l’agencement de temps singuliers. La télévision est constituée sur un modèle lié au travail, qui se plie au temps économique. Cela m’intéressait de développer une succession de périodes qui ne soit construite ni sur le temps du travail ni sur le temps libre, et de réfléchir sur la notion d’agencement de durées déjà constituées. Je m’intéresse à une certaine structure narrative pour y réinjecter un sujet actif. Ce dernier est autant celui qui émet que celui qui reçoit.

Comment s’articule ce projet par rapport à vos autres pièces, notamment vos remakes de films ?
Les remakes sont construits sur un modèle narratif subjectif, traduit par son usage, par son expérience. C’est une lecture. Je m’intéresse à ce passage d’une écriture à une lecture, du suspendu à l’actif. Deleuze disait : “N’interprétez jamais, expérimentez”. Au­jourd’hui, nous ne sommes plus dans un temps de l’événement mais dans celui du commentaire. Pour moi, il s’agit d’expérimenter des interprétations parce que nous sommes confrontés à une succession d’informations, d’éléments déjà mis en forme par un narrateur. Pour l’adaptation/remake du film de Pasolini, je pense qu’il s’agissait d’aller dans ce langage écrit par le cinéaste et d’essayer, à un moment donné, d’en faire une lecture. De même, chaque soirée de cette télévision débutera par un modèle narratif qui a fait sens à un moment donné, qui a modifié la perception de l’histoire et qu’il faudrait essayer de continuer. Il faut amener le téléspectateur non plus à voir un “quoi”, c’est-à-dire un thema, mais à expérimenter un “comment”.

Est-ce que ce travail est lié à votre propre jugement sur la télévision  ?
Je ne peux pas effacer l’histoire de la télévision et faire comme si elle n’avait jamais existé. Mais j’ai essayé de tout faire pour ne pas me caler sur des modèles préexistants, qui sont construits sur une articulation de temps et de “comment” liée à l’industrie, à l’économie, à l’audimat. Je tente de travailler dans un autre sens, sur une télévision qui soit quelque part sans programme. Chaque émission est pour moi comme un plan-séquence du film formé par la journée de diffusion.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°46 du 24 octobre 1997, avec le titre suivant : Les mobiles de Mobile TV

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