Les misères de l’Yser

Les peintres sur le front belge en 14-18

Le Journal des Arts

Le 19 février 1999 - 586 mots

Si le regard porté par les peintres d’avant-garde engagés sur le front durant la Première Guerre mondiale a fait l’objet d’importantes expositions et d’études nombreuses, celui « anonyme » de ceux qui, quelle que soit leur nationalité, se sont affrontés sur un même champ de bataille n’avait jamais été exploré.

BRUXELLES (de notre correspondant) - Sobre, la mise en scène de l’exposition du Crédit communal de Belgique n’a pas misé sur les effets spéciaux. Au contraire, d’aucuns trouveront peut-être très statique et sombre cette présentation au sujet déjà fort peu ludique. En 154 tableaux, dessins, croquis et objets divers, les commissaires Joost De Geest et Piet De Gryse ont voulu montrer ce qu’avaient produit les artistes belges, allemands, anglais, canadiens et français engagés sur l’Yser entre 1914 et 1918. Articulée en cinq thèmes, “Couleurs au front” ne cherche pas à restaurer le regard des avant-gardes en guerre. D’un fauvisme tempéré, la représentation au goût du jour tranche avec la réalité “boueuse” du front. Le jugement artistique n’a toutefois pas présidé à la représentation. Les œuvres réunies valent d’abord comme témoignages historiques.

L’exposition s’ouvre sur l’équation singulière qui unit le soldat à l’artiste. Sur un front immobile, les peintres incorporés auront un rôle à jouer : aux artistes officiels s’adjoignent ceux qui vont peu à peu être réunis au sein de la Section artistique de l’Armée belge ou du Belgische Standaard pour rendre le quotidien de l’armée en guerre. Prise sous son jour officiel, l’imagerie militaire s’y ébauche au rythme des expositions organisées à l’arrière, mais aussi au hasard des objets créés par les soldats eux-mêmes. À cette entrée en matière répond la deuxième section, qui met en évidence la vie quotidienne. Les portraits dominent, avec un mélange étonnant d’académisme et d’avant-garde. De façon singulière, les scènes de combat sont rares. Économe de ses soldats, l’armée belge n’a pas pratiqué l’offensive à outrance. L’iconographie se distingue en Belgique de celle caractéristique des autres terrains d’action. La guerre s’est jouée à l’usure, en donnant la priorité aux duels d’artillerie. La troisième partie en rend compte. Les scènes de combat ont été supplantées par des paysages panoramiques qui témoignent du regard propre aux artilleurs engagés au front. La vision topographique guide la représentation. Chaque détail y prend sens, et la juxtaposition des relevés militaires et des visions artistiques rend le propos concluant.

L’avant-dernière section est consacrée à l’Yser, qui avait sauvé l’armée belge en octobre 1914. L’ouverture à marée haute du complexe d’écluses commandant le régime hydraulique de l’Yser avait bloqué l’avancée allemande en fixant les limites du front pour les quatre années à venir. Pour les artistes engagés, le fleuve allait devenir un des sujets majeurs. Le paysage détrempé, les écluses, l’embouchure du fleuve et les nombreuses passerelles qui le ponctuent deviennent les leitmotiv de représentations fixant la destruction systématique du paysage. La dernière partie souligne encore cette progression apocalyptique. Aux œuvres croquées sur le vif répond une exceptionnelle mise en place de cartes postales qui montrent ce qu’avaient été ces sites avant guerre et ce qu’ils étaient à la fin des hostilités. Statiques, les années de guerre entraînent la destruction de villages, de bois, et même des campagnes. En regard de ces archives, les paysages livrent autant d’instantanés d’une apocalypse mécanisée : un univers déshumanisé dans lequel la couleur même semble dérangeante.

COULEURS DU FRONT 1914-1918. LES PEINTRES DU FRONT BELGE

Jusqu’au 23 mai, Galerie du Crédit communal de Belgique, Passage 44, Bruxelles, tél. 32 2 222 45 05. Catalogue en néerlandais et français, 160 p., 975 FB.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°77 du 19 février 1999, avec le titre suivant : Les misères de l’Yser

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