Décor

Les faux émaux du XIXe

Par Margot Boutges · Le Journal des Arts

Le 10 mai 2016 - 554 mots

Dans une exposition sur des émaux rassemblés par un cardinal au Moyen Âge, le Musée de Cluny consacre une intéressante section aux copies modernes
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PARIS - C’est une petite exposition-dossier composée de quelques vitrines et d’une quarantaine d’œuvres que présente le Musée de Cluny, à Paris. Dans une salle du parcours permanent du Musée national du Moyen Âge, ont été réunis des coffrets, médaillons, chandeliers… décorés d’émaux limousins à motifs profanes ayant appartenu à Guala Bicchieri (vers 1150-1227). Au cours de ses voyages, ce cardinal, légat du pape et diplomate, a amassé quantité d’émaux qui se retrouvent aujourd’hui dispersés dans des musées internationaux.

Cette manifestation – principalement fondée sur les collections de Cluny et du Palazzo Madama de Turin, coorganisateur – offre un très bel aperçu de l’art de l’émail qui a fait la renommée de Limoges entre le XIIe et le XIIIe siècle.

Mais c’est surtout la section qui évoque, en fin de parcours, la postérité de ces pièces orfévrées au travers des faux émaux du XIXe siècle qui attire l’attention. Dans cette époque gagnée par la fièvre néogothique, les émaux médiévaux font fureur auprès des collectionneurs. Aussi ces pièces d’orfèvrerie ont-elles fait l’objet de copies, parfois extrêmement fidèles, parfois tenant du pastiche de l’ancien style. Huit objets viennent en témoigner, tels ces médaillons ajourés à motifs de créatures fantastiques qui reprennent les lignes de médaillons anciens et que l’on peut observer dans une autre vitrine. Les originaux ont eu une histoire mouvementée, décorant d’abord un coffre de voyage appartenant à Guala Bicchieri puis remployés comme décor des stalles et du lutrin du chœur de l’église Saint-Sebastien de Biella (Piémont). À partir de 1860, ils ont été cédés à des particuliers et à des antiquaires pour payer les frais d’entretien de l’église. Des copies furent installées à leur place, lesquelles furent dérobées et dispersées sur le marché de l’art, puis recopiées par la suite. Aujourd’hui, l’œil profane ne verra pas nécessairement la différence entre originaux et copies. Les musées, à qui ces faux émaux furent vendus comme des pièces médiévales dans la première moitié du XXe siècle, s’y sont d’ailleurs laissé prendre. « Nous nous doutions qu’il s’agissait de copies tardives, souligne Christine Descatoire, conservatrice en chef au Musée de Cluny. Les faux émaux peuvent utiliser la technique de la fonte tandis que les originaux sont plutôt réalisés au repoussé », explique-t-elle, reconnaissant que cela « aurait pu mériter que le dessous des émaux soit visible dans l’exposition ».

La question de l'exposition
Plus loin, c’est une iconographie inhabituelle (pont romain, proues à tête d’animal…) et un coloris vert d’eau étrange qui a laissé penser qu’un gémellion à décor de combat et de navigation constituait une contrefaçon. Des intuitions confirmées par des analyses chimiques récentes – menées entre l’Italie et la France – qui ont pu révéler la présence dans les faux d’arsenic, de plomb, de potassium ou de chrome, des matériaux signant une fabrication moderne. Comment exposer ces faux émaux dans les collections permanentes ? « Le Palazzo Madama de Turin leur consacre une vitrine tandis qu’ils sont placés en réserve à Cluny », indique Christine Descatoire, précisant que le nouveau parcours de visite du musée parisien – qui devrait être achevé en 2020 – pourrait les intégrer dans un espace consacré à la redécouverte du Moyen Âge au XIXe siècle.

Les Émaux de Limoges à décor profane, Autour des collections du cardinal Guala Bicchieri

Musée de Cluny, 6, place Paul-Painlevé, 75005 Paris, tél. 01 53 73 78 16, www.musee-moyenage.fr, tlj sauf mardi 9h15-17h45, entrée 9 €. Catalogue, éd. RMN-Grand Palais, 48 p., 12 €.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°457 du 13 mai 2016, avec le titre suivant : Les faux émaux du XIXe

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