Société

DESSIN

Les enfants dessinent face à la guerre

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 3 mars 2021 - 519 mots

MARSEILLE

L’exposition marseillaise rassemble des dessins d’enfants victimes de la guerre dans le monde. Des images-témoins qui dépassent l’indicible.

Marseille. On aimerait ne pas avoir à se confronter à une telle exposition. Malheureusement, il est à craindre que « Déflagrations », cette exposition de dessins d’enfants « inspirés » par la guerre, ne montre qu’une infime partie d’une production pour laquelle l’art n’a pas de nom. Déflagrations ? Curieusement, parmi les travaux réunis par Zérane S. Girardeau et son association Zérane Confluence artistique, peu sont ceux qui décrivent des formes qui explosent ; ce sont plutôt des personnages figés, isolés ou en petits groupes, qui s’affrontent. Curieusement encore, on ne trouve pas ici les mouvements de troupes qui ont caractérisé les batailles homériques mises en scène par les peintres d’histoire pendant des siècles. Autrement dit, ces travaux ne donnent pas une vision d’ensemble, le panorama exhaustif d’un conflit, mais plutôt des fragments de récits incompréhensibles. Ces personnages bidimensionnels placés sur la surface – les volumes et l’espace n’apparaissent que rarement – se réduisent à des pictogrammes qui forment un alphabet d’une fragilité extrême. On pourrait dire que cette « écriture enfantine » est de type cunéiforme tant les personnages-signes, des figures géométriques, ne sont pratiquement jamais liés, en contact, mais séparés par le fond blanc de la feuille. C’est peut-être cela qu’évoque Zérane S. Girardeau quand elle parle de « l’enfant qui peindra ou dessinera le gouffre, celui qu’ouvrent sous nos pieds les guerres et les crimes de masse ».

Bouleversantes, les œuvres le sont par la vulnérabilité des êtres représentés. Comme toujours, les corps vus par les enfants se transforment en figurines désarticulées, rendues en quelques traits sommaires. Pour le visiteur qui se déplace en silence, le dessin d’un garçon de 13 ans du Darfour (2005), celui d’un Centrafricain de 10 ans, camp de réfugiés au Tchad (2020) ou encore celui d’un Rohingya du Myanmar, 12 ans, camp de réfugiés au Bangladesh (2017) semblent partager, malgré leurs différences, le même langage. Tout laisse à penser que la souffrance ou l’effroi, au moins à cet âge, sont universels. Il n’y a que les cartels qui racontent en détails des drames singuliers.

Des artistes reconnus ont répondu à ces dessins

Sur le parcours composé de plusieurs sections – « Le ciel assassin », « L’humain dans ses immenses ténèbres »… – sont placées les œuvres d’artistes reconnus, en résonance avec un dessin choisi par eux. Ainsi Jérôme Zonder reprend le visage défiguré d’un enfant sinti survivant des camps et Ernest Pignon Ernest reproduit à sa manière des mains qui se soulèvent dans un geste de désespoir. Ailleurs, Enki Bilal, fortement engagé dans le projet, intègre quatre dessins des enfants dans une interprétation personnelle de cette scène de cruauté qu’est Guernica de Pablo Picasso. Ailleurs encore, ce sont deux magnifiques vidéos d’animation Bombardement et Figures de l’effroi, réalisées par Patrick Hepner. Ces œuvres, comme l’ensemble de ces dessins en sourdine qui suggèrent le destin des enfants victimes des guerres et des violences de masse ne peuvent laisser personne indifférent. Il y a des œuvres que l’on ne regarde pas comme les autres, que l’on soit un historien de l’art ou un simple être humain.

Déflagrations. Dessins d’enfants et violences de masse,
initialement jusqu’au 2 mai, Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, 7 promenade Robert-Laffont, esplanade J4, 13002 Marseille.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°562 du 5 mars 2021, avec le titre suivant : Les enfants dessinent face à la guerre

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