Art moderne - Art contemporain

XXE-XXIE SIÈCLES

Les deux font la paire

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 31 janvier 2024 - 366 mots

L’artiste libanais Ali Cherri confronte sa production de visages à celle d’Alberto Giacometti dans un face-à-face stimulant.

Paris. « Envisagement », le titre de l’exposition organisée par Romain Perrin à l’Institut Giacometti, renvoie à la fois au visage et à l’échange des regards. Échange, car en s’offrant à notre regard, le visage nous renvoie le sien. Ainsi s’établit un va-et-vient incessant, qui fait naître un sentiment de malaise, car le sujet « légitime », le spectateur, se voit littéralement amputé du contrôle qu’il exerce habituellement sur l’œuvre. Se voir en train d’être vu, cette mise en abyme remet en question le pouvoir reconnu de notre regard en faisant basculer les rôles consacrés du sujet et de l’objet de la représentation.

Cette sensation est d’autant plus frappante quand il s’agit de la production plastique d’Alberto Giacometti (1901-1966) et de celle de l’artiste libanais Ali Cherri (né en 1976) dont la figure humaine est le thème principal. À la différence des nombreux « couples » pas toujours pertinents – Picasso et Rodin, Picasso et Giacometti – formés pour des expositions, le dialogue proposé ici semble naturel. Il est vrai que la plupart des travaux de Cherri ont été conçus en vue de cette rencontre.

L’exposition met en scène un ensemble de têtes et de crânes, plus ou moins stylisés, plus ou moins marqués par des stries et des incisions. Une illustration de cette quête improbable, utopique, de capter le visage, qui hante et anime Giacometti, mais sans doute également Cherri… Dressées dans une fragile verticalité, isolées et frêles, les figures de l’artiste suisse trouvent ici leurs « compagnons de route » avec L’Ange de l’histoire (2023) ou L’Homme qui débarque (1923) de Cherri. Ces personnages sont des assemblages où, sur un corps réalisé en plâtre ou en argile, l’artiste fixe une tête qui peut remonter à la période romaine ou égyptienne. Il se réapproprie le passé et découvre le présent. Comme pour son illustre prédécesseur, chez lui, archaïsme et modernité se confondent.

Une dernière œuvre magnifique de Cherri pour finir : quelques dizaines de prothèses oculaires en verre flottent dans une caisse en bois, tapissée de feuilles d’or, source d’une lumière tamisée, ambrée. Le titre de l’œuvre ? Boîte des regards (2023). On ne saurait mieux dire.

Alberto Giacometti / Ali Cherri : envisagement,
jusqu’au 24 mars, Institut Giacometti, 5, rue Victor-Schoelcher, 75014 Paris.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°626 du 2 février 2024, avec le titre suivant : Les deux font la paire

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