Les déclics de Cindy Sherman

Première rétrospective de l’artiste

Par Philippe Régnier · Le Journal des Arts

Le 1 février 1996 - 455 mots

Après la Deichtorhallen de Hambourg et la Konsthall de Malmö, le Kunstmuseum de Lucerne accueille la première rétrospective de l’artiste américaine Cindy Sherman. Rassemblant près de 120 pièces réalisées entre 1975 et 1995, l’exposition met en lumière l’élargissement progressif du champ esthétique de l’artiste qui reste, dans le même temps, fidèle à sa propre problématique.

LUCERNE - Occupant toutes les salles du Kunstmuseum, l’exposition de Lucerne propose un parcours à la fois thématique et chronologique. Des "Untitled Film Stills" aux dernières pièces – exposées pour la première fois à New York en janvier 1995 –, un choix de photographies significatives est regroupé autour de la dizaine de thèmes abordés par l’artiste depuis 1975.

Mis en scène, maquillé ou travesti, le visage de Cindy Sherman constitue depuis vingt ans l’un de ses motifs récurrents. L’artiste serait-elle sa propre muse ? En réalité, la démarche de Cindy Sherman s’éloigne sur le fond de l’autoportrait pour, au contraire, ré-interpréter quelques-uns des archétypes de la représentation de la femme dans l’Amérique d’aujourd’hui. L’identification aux starlettes des films des années cinquante et soixante est par exemple à la base de la série des "Untitled Film Stills". Le cinéma, les films d’horreur en particulier, constitue l’une des plus grandes influences de l’artiste, au même titre que la télévision.

Des images lissées aux atmosphères troubles
Née en 1954, Sherman fait en effet partie de la première génération d’artistes qui ont grandi devant le petit écran. En faisant également référence aux magazines ou à la publicité, l’artiste dévoile sa propre culture visuelle. Mais ses photographies rassemblent surtout ce qui est ordinairement séparé : les citations d’images issues des médias, le modèle, la représentation et les effets de la vision.

Aussi les mystérieuses photographies de Sherman invitent-elles le spectateur à faire preuve d’imagination, à réinventer un contexte, à poursuivre l’histoire. L’artiste se refuse en effet à toute théorisation de son art et déclare au contraire que chaque spectateur devrait être en mesure de comprendre sans explication les œuvres d’art.

Dans ce contexte, le visiteur peu informé pourra ne voir dans la série des " Sex Pictures " qu’une simple provocation face à la censure, devenue plus virulente aux États-Unis à la fin des années quatre-vingt.

Depuis vingt ans, en réalité, les photographies de Cindy Sherman déclinent une image de la femme et de la féminité, des stéréotypes de représentations contemporaines aux modèles des grands maîtres, des images lissées aux atmosphères troubles, pour finalement laisser place à une autre forme de fantasme mêlant Éros et Thanatos.

CINDY SHERMAN, PHOTOGRAPHIES 1975-1995, Kunstmuseum de Lucerne, Robert-Zünd-Strasse 1, Lucerne, Suisse. Tél. (41) 410 90 40. Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 17h, et le mercredi de 10h à 21h. Jusqu’au 25 février. Catalogue, 184 p., 38 FS.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°22 du 1 février 1996, avec le titre suivant : Les déclics de Cindy Sherman

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