Les Chapman Brothers

Deux artistes londoniens sur le fil du rasoir

Par Roger Bevan · Le Journal des Arts

Le 1 juin 1996 - 454 mots

Avec provocation, Jake et Dinos Chapman s’attaquent au droit d’auteur et à la censure à l’occasion de leur première exposition d’envergure au sein d’un espace public, à l’Institute of Contem­porary Art de Londres.

LONDRES (de notre correspondant) - Dans leur atelier proche de la Whitechapel Art Gallery, Dinos et Jake Chapman mutilent et métamorphosent amoureusement des mannequins destinés aux boutiques de vêtements. Mais ces nouvelles sculptures, exposées actuellement à l’Institute of Con­tem­porary Art (ICA) de Londres sous le titre de "Chapmanworld", ne sont pas à l’abri de poursuites pour violation du droit d’auteur. Le souvenir du jugement rendu par un tribunal new-yorkais à l’encontre de Jeff Koons, qui avait utilisé une photographie dont il n’était pas l’auteur pour l’élaboration de sa grande sculpture en bois polychrome String of Puppies (1998), hante encore la mémoire de tout artiste contemporain. Ajouté à l’éventualité de telles poursuites, le caractère explicitement sexuel de l’œuvre de Dinos et Jake Chapman achève de déconcerter plus d’un commissaire d’exposition, au moment où la carrière des deux frères est en plein essor.

Un Pinocchio avide de sexe
Leur travail va en effet largement au-delà des limites du "bon goût" déjà fran­chies par Gil­bert & George, dont Dinos Chap­man a d’ailleurs été l’assistant, barbouillant de couleurs leurs photos monochromes pendant six ans. Il ouvre à l’art de nouveaux territoires, témoin cet adorable mannequin pubère portant perruque blonde et le corps recouvert de sphincters, un phallus en érection à la place du nez, personnification de l’innocence métamorphosée en Pinocchio avide de sexe.

Face à leurs créations, certaines galeries ont agi avec circonspection : il a ainsi été conseillé à Ridinghouse Editions de ne diffuser qu’à la demande une de leurs vidéos – les relations sexuelles d’un couple d’actrices de porno soft avec une tête en fibres de verre recouverte d’une perruque brune –, ou bien après les heures d’ouverture de la galerie. La nomination éventuelle des Chapman au Turner Prize devrait donner aux musées l’occasion de préciser leur position. Étant donné la curiosité qu’ils ont suscitée ces douze derniers mois et l’intérêt engendré par l’exposition actuelle, il paraît en effet impossible que leur candidature puisse être ignorée. Des conservateurs de la Tate Gallery ont cependant confié en privé qu’il leur serait très difficile de montrer le travail des deux frères sans exercer de censure ou s’exposer à des poursuites. Par un heureux concours de circonstances, l’ICA contourne adroitement ce problème virtuel – autant que passionnant – grâce à son statut de "club privé" qui lui permet de percevoir une adhésion auprès de ses membres d’un jour plutôt qu’un droit d’admission à l’entrée de l’exposition.

CHAPMANWORLD, jusqu’au 7 juillet, Institute of Contemporary Art, The Mall, Londres, tél. 171-930 04 93, ouvert tlj de 12h à 19h30.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°26 du 1 juin 1996, avec le titre suivant : Les Chapman Brothers

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