Allemagne

Les artistes sur le front

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 30 novembre 2007 - 583 mots

À travers la vision des peintres expressionnistes, le Musée Maillol évoque l’Allemagne de la Grande Guerre à la chute de la République de Weimar.

PARIS - En Allemagne, la période de la Grande Guerre (1914-1918) suivie du destin tragique de la République de Weimar, créée aux lendemains de la défaite, a été largement dépeinte par les artistes. Les peintres expressionnistes allemands, notamment, en ont offert une description littéralement figurative, sans équivalent en France. C’est à cette particularité de l’histoire de l’art que s’intéresse aujourd’hui le Musée Maillol, à Paris, à travers le parcours singulier de quatre figures majeures de l’art moderne allemand : Max Beckmann, George Grosz, Ludwig Meidner et Otto Dix. Engagé comme volontaire pour, « tout voir de [ses] yeux », selon ses propres termes, et « pour avoir confirmation que cela se passe comme cela », mitrailleur pendant plus de quatre ans, Dix offre une représentation des plus réalistes du front avec La Guerre (1924). Cet ensemble de cinquante gravures traduit son expérience du conflit : scènes de combat, attaques au gaz, paysages morbides, corps en décomposition. Son œuvre est considérée comme fondamentalement pacifiste, même si certains de ses détracteurs lui ont reproché sa fascination pour les combats et la mort. Une fascination dont témoignent également les gravures de Ludwig Meidner regroupées dans le portfolio également intitulé La Guerre, présenté à Paris pour la première fois. Mobilisé d’office en 1916, Ludwig Meidner a très tôt exprimé son opposition au conflit. La vision de Max Beckmann est différente, plus globale. Dans sa série de lithographies L’Enfer (1919), Beckmann évoque la douleur universelle du monde. Si, en 1914, il décrivait dans les lettres à son épouse « un sentiment de plaisir sauvage et quasi diabolique à se situer entre la vie et la mort », dès 1915, il est renvoyé en Allemagne, atteint d’une grave maladie nerveuse. De son côté, George Grosz considère le conflit comme « un phénomène monstrueusement dégénéré de la lutte ordinaire pour la propriété ». Ses peintures, dessins et lithographies dénoncent l’atrocité des corps mutilés et des cadavres, les appétits malsains de la société bourgeoise, tout comme la bêtise des militaristes prussiens assoiffés de vengeance. Cette première partie du parcours consacrée à la période 1913-1918 est enrichie de documents d’archives, photographies, affiches politiques, tracts et reportages filmés, comme autant de repères historiques d’une réalité que chaque artiste révèle selon son propre destin.
Au premier étage, censé évoquer la fragile République de Weimar et la société mutilée d’après-guerre, la démonstration se perd dans les petites salles confortables du musée. Les injustices sociales décrites par George Grosz dans Orgie (1922) ou Les Brigands (1922), la Vieille femme (1923) et le Meurtre (1922) d’Otto Dix détonnent franchement avec l’univers immuable des collections permanentes. Le visiteur perd le fil d’un propos pourtant passionnant. Au lendemain de la guerre, ces quatre peintres qui ont emprunté un vocabulaire pictural assez proche pour exprimer l’horreur du conflit se tournent, en effet, vers des thèmes et des styles différents, tout en adoptant une esthétique typiquement allemande décrite par les deux commissaires de la manifestation, Annette Vogel et Bertrand Lorquin, comme « la symbolique du grotesque ». Une vision nouvelle et caricaturale d’une société sur le déclin que la crise de 1929 achèvera de renverser.
 

ALLEMAGNE, LES ANNÉES NOIRES

Jusqu’au 4 février 2008, Musée Maillol – Fondation Dina Vierny, 61, rue de Grenelle, 75007 Paris, tél. 01 42 22 59 58, www.museemaillol.com, tlj sauf mardi et jours fériés, 11h-18h. Catalogue, coédition Gallimard, 248 p., 35 euros, ISBN 978-2-07-011911-0.

ALLEMAGNE, LES ANNÉES NOIRES

- Commissaires : Annette Vogel, directrice du bureau représentatif de la Collection Sabarky à Munich ; Bertrand Lorquin, historien d’art, conservateur au Musée Maillol - Nombre d’œuvres : 280

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°270 du 30 novembre 2007, avec le titre suivant : Les artistes sur le front

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