Art contemporain

Les artistes phares de l’été 2022

Par L'Œil · L'ŒIL

Le 28 juin 2022 - 4805 mots

Du nord au sud, d’est en ouest, tour de France des plasticiens qu’il faut impérativement aller voir cet été.

François Boisrond [né en 1959]

Sète -  C’est Plus De quarante ans de création que met à l’honneur, cet été, la rétrospective de Boisrond au Musée Paul Valéry, à Sète. S’y révèlent les différentes facettes d’un même désir inconditionnel pour la peinture, dans sa sensuelle matière et son histoire. Vous y verrez, depuis les débuts de la Figuration libre jusqu’à aujourd’hui, tout ce qui fait la grande tradition de la peinture ; la permanence des grands genres comme le nu, la nature morte ou le portrait. Mais aussi et surtout ce désir primordial et sensuel de faire image, avec sa main et un peu de matière posée sur une surface. Et puis, évidemment, ce plaisir du « comment c’est fait », ces histoires de lumière, de composition, de gestuelle, de matière, qui toujours mènent les peintres à regarder les maîtres, comme Boisrond les a lui-même tant regardés. Par ce dialogue incessant, la peinture demeure intemporelle, dans sa singularité. Et pourtant la peinture absorbe, tout comme elle absorbe bien d’autres choses qu’elle-même, les bruissements du monde par exemple. Elle absorbe et digère. Elle se métamorphose, s’hybride. Malaxe le passé et le présent, le grand art et mille autres référents. Il n’est qu’à voir comment François Boisrond n’a eu de cesse de réinventer sa pratique à l’aune de la modernité : bande dessinée, télévision, cinéma, photographie, caméra HD et techniques numériques. Ce que révèlent ces quarante ans de création présentés à Sète ? Que la peinture pour Boisrond, c’est une longue initiation, demandant pas mal d’humilité. Que c’est aussi, et surtout, l’expression d’une envie, le besoin d’exprimer, par la peinture, quelque chose de soi et d’un rapport au monde.

Amélie Adamo
Olivier Masmonteil[né en 1973]

Antony/saint-louis -  Invité par la Maison des arts d’Antony à revisiter les œuvres phares de l’histoire de la peinture, Olivier Masmonteil est aussi à l’honneur à la Fondation Fernet Branca qui lui consacre une rétrospective, la première d’une telle envergure dans une institution culturelle française. Ces deux expositions sont l’occasion de parcourir les étapes clés d’un itinéraire tourné vers la peinture depuis plus de vingt ans. S’inscrivant dans une perspective historique, Olivier Masmonteil n’a eu de cesse de se confronter aux grands thèmes traditionnels : paysages, portraits, baigneuses, natures mortes, mais aussi scènes mythologiques et historiques. Fasciné par les maîtres anciens, dont il a copié minutieusement les manières, Olivier Masmonteil fonde sa pratique sur la citation en opérant des variations formelles autour de motifs empruntés. Des motifs « fantômes » qui ressurgissent par superpositions et recouvrements, à la fois dévoilés et cachés. Comme dans Mémoire de la peinture, où la copie des œuvres classiques se dilue au travers de la grille répétitive des motifs sérigraphiés. La peinture d’Olivier Masmonteil se construit à l’atelier, aux côtés d’assistants ces dernières années ; entre le goût du métier et l’apport de la machine, entre la minutie du geste et la répétition sérielle, entre l’amour des maîtres et le souci d’élaborer une efficace industrie picturale.

Amélie Adamo
NAIRY BAGHRAMIAN [Née En 1971]

nîmes -  Si Nairy Baghramian jouit d’une importante reconnaissance internationale, dont témoignent notamment ses participations à la Biennale de Venise en 2011 et 2019 et de nombreuses expositions monographiques (Art Institute de Chicago, Reina Sofia à Madrid, Mudam au Luxembourg…), « Parloir » est sa première exposition personnelle dans un musée français. L’artiste d’origine iranienne, qui vit et travaille à Berlin depuis 1984, investit les espaces du Carré d’art en présentant à la fois des œuvres historiques et d’autres plus récentes, dont certaines productions inédites. Comme à son habitude, Nairy Baghramian joue avec les spécificités du lieu dans lequel elle s’inscrit. Elle guide le visiteur au fil des salles du musée en privilégiant une interaction sensible avec ses œuvres composites. Pour l’artiste, « les questions non résolues persistent dans les marges, c’est pourquoi le décentrement restera le lieu des tâches sculpturales ». « Parloir » décline cette affirmation à l’échelle d’une exposition : les pièces, qui jouent souvent de l’ambiguïté de leur statut – entre installation, objet de design, sculpture –, sont présentées dans les angles, les interstices, ou courent d’une salle à l’autre, mais n’occupent jamais une place centrale. Malgré une certaine simplicité formelle, il se dégage de toutes les œuvres présentées une fragilité, un équilibre précaire ou une tension sous-jacente. Cette très belle exposition donne à voir la richesse et la finesse du travail de Nairy Baghramian, qui emprunte autant à l’art minimal, au design et à l’architecture qu’à la performance, à la danse et au théâtre.

Anne-Charlotte Michaut
Stéphane Thidet [né en 1974]

Saint-nazaire -  L’artiste est un habitué des installations spectaculaires. En 2018, il avait détourné une partie du cours de la Seine pour le faire serpenter dans la Conciergerie de Paris (Détournement). Deux ans plus tard, il faisait tomber une cascade d’eau devant la façade du théâtre Graslin, à Nantes (Rideau). Fasciné par les éléments, Stéphane Thidet nous avait déjà fascinés en 2007 avec son Refuge, une cabane en bois ouverte aux quatre vents dans laquelle une pluie ne cessait de tomber. Plasticien-poète, Thidet est invité cet été par le Grand Café, centre d’art contemporain de Saint-Nazaire, à intervenir au LiFE, ancienne base de sous-marins allemande transformée en espace de spectacles et d’expositions. Dans ce gigantesque (1 600 m2) bunker de béton plongé dans l’obscurité, l’artiste installe une chute de sable de plus de huit mètres de largeur, évocation du temps qui s’écoule, tel un sablier. Une expérience contemplative qui frappera, à n’en pas douter, les esprits pour longtemps.

Fabien Simode
ANN VERONICA JANSSENS [Née en 1956]

Paris/avignon/saint-paul-de-vence -  Ann Veronica Janssens jouit depuis le début du siècle d’une reconnaissance internationale, dont témoignent ses nombreuses expositions monographiques (Louisiana Museum, Danemark ; SMAK, Belgique ; Baltimore Museum of Art ; États-Unis…) et sa participation à d’importantes manifestations internationales, dont la Biennale de Venise, où elle a représenté la Belgique dès 1999 (avec Michel François). Elle est également cheffe d’atelier à l’École des beaux-arts de Paris, a collaboré avec différents chorégraphes et a initié en 2009 le Laboratoire Espace Cerveau à l’IAC, projet interdisciplinaire réunissant artistes et scientifiques. À travers des installations immersives souvent in situ, Ann Veronica Janssens propose des expériences physiques et sensorielles qui bouleversent nos perceptions. Souvent immatériel, son travail revêt des qualités à la fois sculpturales et picturales, grâce à l’exploration des infinies potentialités de la lumière, son matériau principal. Cet été, elle bénéficie d’une triple actualité en France : à Paris, elle installe une œuvre monumentale en écho au pendule de Foucault au Panthéon, tandis qu’elle présente une double exposition dans le Sud de la France, à la Collection Lambert et à la Fondation CAB. À Avignon, elle a pensé son intervention en réponse aux œuvres de Dan Flavin installées au rez-de-chaussée. Découvrant les vingt-six fenêtres du premier étage qu’elle investit, elle laisse entrer la lumière naturelle, qui interagit avec des sculptures, peintures et installations posées au sol. Différents phénomènes se dévoilent alors au gré des fluctuations de la lumière – reflet, réfraction, absorption…

Anne-Charlotte Michaut
Pascal Convert [né en 1957]

nantes -  Il n’est pas habituel pour un artiste d’intervenir dans un cimetière. Cela tombe bien, les habitudes ne sont pas dans le vocabulaire de Pascal Convert, qui réalise cette année l’une des interventions les plus inattendues du Voyage à Nantes. Œuvre pérenne, Miroirs des temps est une série de bas-reliefs en verre, matériau de prédilection du sculpteur, disposés entre les pierres tombales du cimetière Miséricorde. Dans cet ancien « Père-Lachaise nantais » ouvert en 1793, où la nature a repris aujourd’hui ses droits, Pascal Convert a placé des habitants des forêts : un cerf, un chevreuil, une biche, deux faons. Réalisés en creux dans une dalle de verre, grâce au savoir-faire du maître verrier Olivier Juteau, ces animaux apparaissent tels des fantômes. « Ce cimetière est un lieu de disparition, mais aussi d’apparition, dit l’artiste aux enfants quand il leur explique son projet. La présence d’animaux fantômes qui nous suivent du regard, d’animaux sur la tête desquels poussent des arbres qui les relient au ciel, retire à ce lieu l’autorité que donnerait la mort. S’il est bien un lieu où l’on ne sait pas, c’est bien ici. » Les morts hantent depuis longtemps la vie et l’œuvre de Pascal Convert, ceux des guerres comme ceux du terrorisme. Il était finalement normal qu’une œuvre leur revienne un jour. C’est fait, au cimetière Miséricorde, avec la justesse et l’infinie poésie qui caractérisent l’artiste.

Fabien Simode
Ernest Pignon-Ernest [né en 1942]

Landerneau -  Bien que célèbre au-delà des cercles de l’art contemporain, ou peut-être pour cette raison, l’œuvre d’Ernest Pignon-Ernest souffre parfois d’être « malregardée », selon la formule du poète André Velter. Que Jean de Loisy assure le commissariat de sa rétrospective au Fonds Hélène et Édouard Leclerc (FHEL), en Bretagne, jusqu’au mois de janvier prochain, signe peut-être à cet égard un tournant. À force d’expliquer sa démarche et la singularité de son rapport aux lieux, à l’histoire et à la poésie, de dire qu’il « fait œuvre des situations » et non d’impeccables dessins collés dans l’espace public, l’artiste aurait-il fini par déciller quelques yeux dans le monde de l’art et les institutions ? L’exposition devrait en tout cas y contribuer, tout comme la réédition « augmentée » chez Gallimard de sa monographie, signée justement par André Velter [Ernest Pignon-Ernest, 360 p., 50 €]. L’opus est dense, à l’image d’un travail artistique déployé à travers le monde depuis plus de cinquante ans. D’une plume alerte, il évoque l’intégralité des œuvres de Pignon-Ernest, depuis un détail de Guernica peint sur La Dépêche d’Alger en 1962, jusqu’à ses interventions en 2019 à Nice, sa ville natale, et en Haïti. À Landerneau, l’exposition du FHEL prend un autre parti : à travers un ensemble de trois cents dessins préparatoires, photographies in situ, mais aussi livres annotés sortis de l’atelier, elle cerne l’artiste à travers une sélection de thèmes et de figures de prédilection. Y sont abordés tour à tour son humanisme, sa révolte, sa relation à Naples, sa fascination pour les mystiques, mais surtout sa fréquentation assidue des poètes, « mythes laïcs », « icônes païennes » qui « font leur pays ».

Stéphanie Lemoine
Hélène Delprat [née en 1957]

Nantes/paris  - « Avec Hélène Delprat, tout, absolument tout, ramène à la question de la voix, et donc de la narration », expliquait Christophe Gaillard, son galeriste parisien, dans une vidéo qu’il lui dédia pendant le confinement, prenant pour point de départ un tableau de l’artiste empruntant son titre à une chanson de Nick Cave : With My Voice, I’m Calling You. Que de strates et de souvenirs dans cette œuvre inclassable et profuse usant du dessin, de la photographie, des collages, de la performance, de la vidéo, de la sculpture ! Invitée dans le cadre des « Dialogues Inattendus » par le Musée Marmottan Monet, Hélène Delprat tourne le dos à l’auteur des Nymphéas, pour converser avec… une table, champ de bataille où elle réunit, à la façon d’un théâtre d’opérations, objets, miroirs, stalactites, chaînes d’or, et même un vase qu’elle a récemment réalisé à la Manufacture de Sèvres. Pour le Voyage à Nantes, elle campe sur une scène à ciel ouvert en forme d’étoile un cortège grotesque d’humains, d’animaux et d’hybrides figés dans leurs gesticulations. Mais c’est à ses tableaux de très grand format parsemés d’or et de références cartoonesques que l’on pense spontanément en évoquant la plasticienne. Revenue à la peinture depuis une dizaine d’années, tout en professant sa détestation (I Hate my Paintings, 2020), Hélène Delprat la charge de tout ce qui nourrit sa curiosité, de Botticelli à Bruce Nauman en passant par Franju et Claude Cahun. Pour se familiariser avec son univers baroque, on feuillettera ses trois livres-notes, recueils d’images et de textes parus entre 2012 et 2020.

Anne-Cécile Sanchez
Orlan [née en 1947]

Toulouse/paris -  Cet été, l’actualité d’ORLAN est dense. Au Frac Occitanie Toulouse – « Ne dites pas “aux Abattoirs” », nous conjure l’artiste, sensible à la souffrance animale –, « Manifeste ORLAN » cerne d’abord sa manière d’approcher le corps en sculptrice. « Je ne suis pas assujettie à la performance, ni à aucune pratique artistique, rappelle-t-elle pour justifier l’angle de cette rétrospective. J’ai cultivé mes cellules, j’ai fait de la réalité augmentée et créé un robot, j’ai abordé tous les médiums. » Au Musée national Picasso, à Paris, une seconde exposition, « Les femmes qui pleurent sont en colère », entend rendre hommage « aux femmes de l’ombre, muses et inspiratrices, qui ont beaucoup donné pour la grandeur de nos grands maîtres ». D’une série initiée en 1937 par l’artiste espagnol autour de Guernica et des atrocités de la guerre civile, ORLAN a tiré un ensemble de collages photographiques où les larmes de Dora Maar se confondent avec les siennes. « Avec mes yeux exorbités et ma bouche de travers, j’ai voulu suggérer que ces femmes sont en train de s’émanciper, de sortir de l’ombre. Elles sont dans un moment où elles arrêtent de subir. » Reflet d’une époque où la création au féminin est un peu plus visible, à la faveur de #MeToo ? Sans doute : ORLAN n’est pas seulement une féministe revendiquée, mais aussi une artiste qui excelle à saisir, le plus souvent avec un coup d’avance, l’évolution de la société. À tout prendre d’ailleurs, son émancipation artistique en 1964 avec ORLAN accouche d’elle-m’aime et ses tentatives de sortie du cadre ne sont qu’un aspect parmi d’autres de son regard visionnaire. Sa capacité à se déconstruire et à se reconstruire et son talent pour les métamorphoses lui ont aussi permis d’annoncer, au risque du scandale, la fluidité de genre et le posthumain. Ils expliquent en partie qu’elle soit, selon ses termes, « un miracle ambulant » : « On me reconnaît dans la rue et on m’étudie au lycée », rappelle-t-elle. Avant de pointer qu’il reste un domaine où elle reste cantonnée dans l’ombre des hommes : le marché de l’art.

Stéphanie Lemoine
Tatiana Trouvé [née en 1968]

Paris -  Elle Est Née en Italie, à Cosenza (Calabre), a grandi en Afrique, vit et travaille en France où elle a fait ses études à la Villa Arson, et expose partout dans le monde. On a pu voir son travail dans l’exposition d’ouverture de la Bourse de Commerce-Collection Pinault : au fil des salles, sa série The Guardian matérialisait, sous la forme de chaises vides où s’empilaient différents objets, l’absence des gardiens d’exposition, clin d’œil aux visiteurs empruntant au registre de la sculpture classique le marbre, le bronze et l’onyx. Représentée par deux galeries de premier plan, Gagosian et Perrotin, l’artiste se voit consacrée cet été par une exposition au Centre Pompidou. Tatiana Trouvé est là depuis longtemps : elle a été lauréate du prix Fondation d’entreprise Ricard en 2001, puis distinguée en 2007 par le prix Marcel Duchamp. Tout a commencé en 1997 avec Le Bureau d’activités implicites (BAI), un ensemble dans lequel pendant dix ans elle évoque son parcours à travers la fiction d’une administration aussi pointilleuse que désopilante, dispositif donnant lieu à des Modules et des Polders désincarnés réduits à l’échelle de maquettes. Dès le début, la présence humaine reste suggérée. À partir de 2007, plusieurs de ses sculptures et de ses dessins évoquent des espaces intermédiaires qu’elle qualifie d’« intermondes ». Depuis 2013, sa série des Dessouvenus explore les confins indécis d’images que l’on dirait rémanentes. Au Centre Pompidou, ses œuvres graphiques sont suspendues au plafond et posées au sol, invitant le visiteur à pénétrer physiquement dans son espace mental.

Anne-Cécile Sanchez
Pierre Buraglio [né en 1939]

Paris/lyon -  Un Jour, l’art reconnaîtra les siens ; ce jour-là, Pierre Buraglio sera élevé au rang des peintres les plus décisifs du dernier tiers du XXe siècle. Un peintre de la plus noble tradition, maîtrisant parfaitement son métier, tourné vers l’histoire pour mieux façonner l’art de son temps. Ne soyons donc pas étonnés de le voir aujourd’hui exposer chez Balzac. « Boulimique de lecture et d’écriture, depuis l’enfance », dit à son propos Dominique Aris, Pierre Buraglio regarde l’écrivain depuis quelques années déjà à travers les yeux de Rodin et le Monument que ce dernier en fit, comme il a regardé Cézanne, Giotto, Zurbarán et bien d’autres. Bien sûr, Buraglio ne partage pas tout avec l’écrivain – il lui préfère l’écriture de Flaubert. Mais il s’agit, comme toujours chez lui, moins d’établir des ponts, « une approche qui serait artificielle car a posteriori», que de travailler avec lui ; de travailler « ni contre ni avec, mais à partir de Balzac ». Du Traité de la vie élégante de Balzac, le peintre retient donc le motif de la cravate, dont il fait œuvre à partir de morceaux d’anciennes toiles de Simon Hantaï. Plus loin, il établit un parallèle entre les pages biffées, corrigées, de l’écrivain et ses propres agendas, raturés une fois le rendez-vous passé. Mais quand Balzac ajoute, Buraglio, lui, caviarde. « À partir de Balzac », toujours. Et puis, le plasticien ramène un peu de sa maison à lui dans celle de l’auteur de La Comédie humaine– que Buraglio, détourne en reprenant le titre de Wurmser par La Comédie inhumaine. Cette maison familiale de Maisons-Alfort, près de Paris, que son grand-père avait acquise, agrandie, et que le peintre habite encore aujourd’hui. La maison d’une vie, la maison d’une œuvre avec son toit, ses cheminées, son jardin… De sa maison, il est aussi question dans l’exposition que lui consacre, jusqu’au 23 juillet, la Galerie Ceysson & Bénétière à Lyon, comme des blockhaus de son Cotentin, de la guerre – les albatros sont des avions. « La peinture s’édifie sur ses propres ruines », a pour habitude de dire Buraglio : les ruines de l’histoire de l’art comme de la sienne propre.

Fabien Simode
ANNETTE MESSAGER [Née en 1943]

Villeneuve-d’ascq -  Lorsqu’on lui demande ce qui a changé aujourd’hui par rapport au début de sa carrière, Annette Messager répond qu’« avant, on ne nous demandait pas “pourquoi” on créait nos œuvres ». Se définissant souvent, non sans une pointe d’ironie, comme « un messager sans message », l’artiste est restée en retrait lors de la visite de son exposition personnelle au LaM, et s’est ensuite plu à esquiver les questions sur son travail par des pas de côtés – des anecdotes personnelles, souvent cocasses. Figure incontournable de l’art contemporain français et international depuis les années 1970, Annette Messager est la première artiste française vivante à avoir bénéficié d’une exposition personnelle au MoMA (1995), puis obtenu le Lion d’or à la Biennale de Venise en 2005 pour son installation Casino dans le pavillon français. À Villeneuve-d’Ascq, ce sont principalement des œuvres récentes que nous sommes invités à découvrir dans un parcours conçu en étroite collaboration avec l’artiste. Si l’on retrouve son intérêt pour les ex-voto et les fétiches, la part belle est faite aux dessins, pratique qu’elle développe de plus en plus depuis quelques années. Ces « haïkus visuels », selon ses propres termes, sont intégrés dans des installations – Requiem pour Jeanne, en hommage à Jeanne d’Arc – ou assemblés de telle sorte à former une unique pièce. La magnifique installation Tête-à-tête en témoigne : plus de 70 dessins de têtes de mort (réalisés à l’annonce de son cancer du sein en 2019) sont présentés comme un damier de forme pyramidale inversée sur un mur en coin. Si l’on retrouve l’humour grinçant de l’artiste dans certaines salles, beaucoup d’œuvres récentes semblent s’être teintées d’une plus grande noirceur, et le spectre de la maladie, omniprésent, hante l’exposition.

Anne-Charlotte Michaut
Gaël Davrinche [né en 1971]

Antony/carrouges -  Les expositions de Gaël Davrinche que vous pouvez voir cet été, à la Maison des arts d’Antony et au château de Carrouges, sont une invitation à redécouvrir deux aspects fondateurs de la démarche du peintre : le rapport aux maîtres et la question du portrait. Ce qui relie l’un et l’autre – le réel sujet pour Gaël Davrinche –, c’est la peinture évidemment. Qu’il revisite des chefs-d’œuvre de l’histoire de l’art ou qu’il réinvente le genre du portrait à travers des séries très variées, ce qui frappe dans la démarche du peintre c’est la multiplicité des approches. Il manipule avec une grande liberté diverses écritures et puise, de manière totalement décomplexée, dans un vaste champ de possibles. Libre de rendre hommage et d’être irrévérencieux. Libre de caricaturer, de déconstruire et de reconstruire une figure. Libre d’user d’un réalisme classique et d’un savoir-faire savant ou d’utiliser des gestuelles et des formes plus expressionnistes, plus brutales. Avec les doigts ou au pinceau. Face à la toile ou bien dessus. Autant de façons de créer des œuvres qui répondent à des états d’âme, à des ressentis. Autant de manières d’explorer ce qui fait qu’un tableau tient et puis nous touche en retour. La peinture ? Rien d’autre, depuis la nuit des temps, qu’un peu de matière sur une surface. Et puis, mystère : la vie.

Amélie Adamo
Hervé Di Rosa[né en 1959]

Valence -  Après Philippe Favier, autre figure emblématique du renouveau de la peinture figurative dans les années 1980, c’est au tour d’Hervé Di Rosa d’investir le Musée de Valence. Et à nouveau, la proposition à caractère rétrospectif est d’envergure. Avec plus de 200 pièces, l’œuvre de l’artiste sétois se déploie dans les étages voués aux expositions temporaires, mais aussi dans les espaces consacrés aux collections permanentes avec lesquelles elle dialogue, arts ancien et contemporain confondus. Ce que ce parcours révèle ? Le déploiement d’une œuvre prolifique, qui s’étend sur plusieurs décennies, dont les sources multiples témoignent d’une réelle curiosité et d’un goût certain pour l’exploration. Passionné par toutes sortes de techniques et de matériaux, Hervé Di Rosa a voyagé sur de nombreux continents et découvert divers savoir-faire traditionnels auprès d’artisans qui l’ont aidé à renouveler sa création. La diversité des œuvres, par leurs formes et leurs motifs, permet de mesurer la richesse d’un vaste Musée imaginaire qui ne se limite ni à une géographie ni à une époque. De la préhistoire au Moyen Âge, jusqu’à la peinture classique, les sources d’Hervé Di Rosa sont bien plus vastes que l’apport d’une culture populaire à laquelle on a systématiquement et unilatéralement rattaché son travail. Pas de barrière chez lui entre regard savant et culture populaire. Pas de passé en art, qu’un éternel présent.

Amélie Adamo
Thomas Ruff [né en 1958]

Saint-étienne -  Adolescent, Thomas Ruff avait deux passions : l’astronomie et la photographie. Il étudiera la photographie à la Kunstakademie de Düsseldorf et suivra le cours de Bernd Becher. Il est encore étudiant quand il commence les séries Intérieurs et Portraits selon un protocole précis. Vêtement de tous les jours et pose la plus neutre qui soit forment ainsi la règle de la prise de vue du buste de ses amis, et le petit format, la dimension du tirage. Grâce à l’évolution des techniques, le tirage de ces portraits en grand format donnera à partir de 1986 au visage une tout autre présence, et marquera le début du succès pour l’un des plus célèbres représentants de l’école de Düsseldorf. Avec son revers : une identification bien restrictive à cette école compte tenu du sillon qu’il a tracé depuis l’usage de l’outil numérique, le travail à partir de l’archive et la manipulation des images entamés dès 1989. Au Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Étienne Métropole, la rétrospective proposée par Alexandre Quoi est riche à cet égard en enseignements. Outre qu’elle est la première en France, elle offre une lecture inédite au point que Thomas Ruff a donné à son commissaire une carte blanche totale, du choix des séries dans ses archives à l’accrochage, fournissant toutes les photographies de l’exposition. Résultat : une traversée de l’œuvre en 17 séries sur 30, dont une inédite, qui ne cesse d’interroger et de s’approprier l’histoire des constituants techniques, matériels de la photographie et de ses usages pour mener de profondes réflexions sur le médium tout en innovant sur bien des plans. « Thomas Ruff est un historien de la photographie », dit Alexandre Quoi en se référant au « rôle crucial des artistes engagés dans ce besoin de réécrire une histoire de la photographie ».

Christine Coste
Arthur Jafa [né en 1960]

Arles -  En 2019, La 58e édition de la Biennale de Venise récompensait Arthur Jafa du Lion d’or du meilleur artiste de la sélection internationale pour son film The White Album, exploration au travers d’archives photo de la fragilité de l’empathie des Blancs américains vis-à-vis des discriminations et des violences infligées aux Noirs. L’artiste et cinéaste afro-américain, né à Tupelo, dans l’État du Mississippi, y déconstruit les bons sentiments qu’avait provoqués trois ans plus tôt Love is the Message, The Message is Death, vidéo de 7 min sur la culture et la condition des Noirs aux États-Unis qui contribua à la renommée internationale de l’artiste. Tel un DJ, Arthur Jafa combine régulièrement dans ses œuvres pistes musicales, segments de vidéos et photographies issus de carnets de notes visuelles qu’il constitue à partir d’archives d’images et de films de toutes sortes, trouvés sur Internet et portant systématiquement à la fois sur la manière dont les Africains-Américains ont été, et sont traités, en Amérique, et sur la Blackness (ou conscience noire). La rétrospective d’ampleur, inédite en France, que lui consacre Luma Arles, est particulièrement éloquente, et sa mise en dialogue de films, sculptures et photographies élargit la vision que l’on peut avoir de l’œuvre. Pièces récentes ou spécialement conçues pour l’occasion frappent fort comme son titre Live Evil (le mal en direct ou vivre le mal) qu’incarne dès l’entrée une image d’archive glaçante, tirée en grand format, montrant des enfants noirs faisant allégeance à la fin du XIXe siècle au drapeau américain, comme il est de coutume alors, main droite levée ; « Salut de Bellamy », que remplacera Franklin Roosevelt, en 1942, par la main droite sur le cœur.

Christine Coste
Bernard Plossu [né en 1945]

Aix-en-provence -  Suivre Bernard Plossu à travers les expositions qui lui sont régulièrement consacrées, ou les ouvrages publiés, forme une suite de rendez-vous auxquels on ne se lasse pas de revenir. Par bribes, des pans de voyages ou de séjours au Mexique, aux États-Unis, en Espagne ou en Italie, seul ou en famille, se racontent. À chaque fois des histoires de rencontres, des photographies et des réflexions méconnues se livrent dans un ton et une écriture, libres, simples, qui n’appartiennent qu’à lui, justement par la proximité immédiate que suscite le contenu de l’image. Les êtres, les choses ou situations les plus banales revêtent une dimension atemporelle et narrative. Comme pour chaque parution d’un livre de Patrick Modiano, on piste ce que le nouveau récit raconte de leur auteur, on affine ce que l’on peut connaître de lui et on s’étonne à chaque fois que ce photographe parmi les plus importants n’ait pas encore fait l’objet d’une rétrospective par le Musée national d’art moderne. Suivre donc au Musée Granet Bernard Plossu en Italie, dans une mise en parallèle inattendue de ses différents voyages entrepris depuis les années 1970 avec des dessins, lavis et aquarelles de François Marius Granet réalisés au cours de ses deux séjours dans la péninsule, presque deux siècles plus tôt. On connaît l’attachement de Plossu pour l’Italie, pas moins de douze livres – treize désormais avec le catalogue de l’exposition aux éditions Filigranes. Mais une nouvelle fois, ce qui se raconte capte et convoque des attachements, en particulier à la littérature italienne. « Si je dois résumer mon amour pour l’Italie, en fait le cinéma vient en troisième place après la littérature et la peinture : 99 % de mes lectures ne concernent que des livres italiens », dit-il. Quant au portrait de Françoise Nuñez, son épouse allongée sur un lit à Rome, le regard tourné vers lui, il rappelle que la photographe décédée le 24 décembre 2021, est aussi l’auteure de tous les tirages noir et blanc de l’exposition.

Christine Coste
Jean Le Gac[né en 1936]

Chaumont-sur-loire -  On n’en voit pas assez des solos de Jean Le Gac ! Donc : ne ratez surtout pas l’occasion d’aller (re)découvrir son travail, installé dans les galeries hautes du château de Chaumont-sur-Loire. Ce qui fonde sa démarche depuis les années 1960 ? Avoir hybridé la peinture avec l’écriture et la photographie, transformée de manière très personnelle en « mythologies individuelles » (pour reprendre le terme à Harald Szeemann). À travers la figure du peintre représentée dans ses œuvres, sorte de double inventé par l’artiste, Jean Le Gac nous donne à découvrir son regard porté sur le monde, et tout particulièrement sur le paysage. Chaque œuvre porte la trace de balades et méditations intérieures, que l’artiste métamorphose en fictions imaginaires. Aux frontières du réel et de l’irréel, son œuvre révèle un goût certain pour l’univers du cinéma et la littérature, nourrie de peinture autant que d’emprunts au feuilleton policier ou au roman-photo. Herbiers, plantes, appareils et projecteurs, photos, pastel, fusain et autres techniques mixtes : ses œuvres sont de nature très hétérogène, entre mots, objets et images. Parsemées de citations, entre grand art et trivialité quotidienne, elles travaillent sur le fragment et la construction de récits allusifs, ce qui en accentue le caractère poétique. La peinture pour Jean Le Gac ? C’est un peu l’abandonner, y renoncer, pour mieux la retrouver. Avec toute la modestie qu’impose sa si longue Histoire…

Amélie Adamo
« Olivier Masmonteil. Peinture : la fausse ingénue » ,
jusqu’au 2 octobre 2022, Fondation Fernet-Branca, 2, rue du Ballon, Saint-Louis (68), fondationfernet-branca.org ;
« Le grand Tour de Davrinche et Masmonteil » ,
jusqu’au 17 juillet 2022, Maison des arts, parc Bourdeau, 20, rue Velpeau, Antony (92), maisondesarts@ville-antony.fr
« François Boisrond. Une rétrospective »,
jusqu’au 6 novembre 2022, Musée Paul Valéry, 148, rue François-Desnoyer, Sète (34), museepaulvalery-sete.fr
« Stéphane Thidet. Bruit rose »,
du 8 juillet au 2 octobre 2022, LiFE, Saint-Nazaire (44), www.grandcafe-saintnazaire.fr
« Nairy Baghramian. Parloir »,
jusqu’au 18 septembre 2022, Carré d’art – Musée d’art contemporain, place de la Maison-Carrée, Nîmes (30), www.carreartmusee.com
« Ann Veronica Janssens. Entre le crépuscule et le ciel »,
du 2 juillet au 9 octobre 2022, La Collection Lambert, 5, rue Violette, Avignon (84), www.collectionlambert.com
« Ann Veronica Janssens. 5766 chemin des Trious »,
jusqu’au 11 septembre 2022, Fondation CAB, 5766, chemin des Trious, Saint-Paul-de-Vence (06), www.fondationcab.com
« Ann Veronica Janssens. 23:56:04 »,
jusqu’au 30 octobre 2022, Panthéon, place du Panthéon, Paris-5e, www.paris-pantheon.fr
« Pascal Convert. Miroirs des temps »,
cimetière Miséricorde, 4, rue de la Pelleterie, Nantes (44), www.levoyageanantes.fr
« Le Voyage à Nantes : Hélène Delprat, Le Théâtre des opérations, Le Bal des ombres », jusqu’au 11 septembre 2022, place Félix-Fournier, Nantes (44), www.levoyageanantes.fr « Dialogues inattendus : Hélène Delprat. Conversation avec une table »,
jusqu’au 16 octobre 2022, Musée Marmottan Monet, 2, rue Louis-Boilly, Paris-16e.
« Ernest Pignon-Ernest »,
jusqu’au 15 janvier 2023. Fonds Hélène et Édouard Leclerc, les Capucins, Landerneau (29). www.fonds-culturel-leclerc.fr
« Tatiana Trouvé, Le grand atlas de la désorientation »,
jusqu’au 22 août 2022,Centre Pompidou, place Georges-Pompidou, Paris-4e, www.centrepompidou.fr
« Manifeste ORLAN. Corps et sculptures », jusqu’au 28 août 2022,Musée des Abattoirs, Frac Occitanie Toulouse, 76, allées Charles-de-Fitte, Toulouse (31), lesabattoirs.org « Les femmes qui pleurent sont en colère »,
jusqu’au 4 septembre 2022, Musée Picasso, 5, rue de Thorigny, Paris-3e, www.museepicassoparis.fr
« Annette Messager. Comme si »,
jusqu’au 21 août 2022, LaM – Lille Métropole Musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut, 1, allée du Musée, Villeneuve-d’Ascq (59), www.musee-lam.fr
« Pierre Buraglio à l’épreuve de Balzac »,
jusqu’au 4 septembre 2022, Maison de Balzac, 47, rue Raynouard, Paris-16e, www.maisondebalzac.paris.fr /
« Pierre Buraglio… Çà et là » ,
jusqu’au 23 juillet 2022, Galerie Ceysson & Bénétière, 21, rue Longue, Lyon (69), www.ceyssonbenetiere.com
« Hervé Di Rosa, ses sources, ses démons »,
jusqu’au 28 août 2022, Musée de Valence, 4, place des Ormeaux, Valence (26), museedevalence.fr
« Gaël Davrinche »,
jusqu’au 18 septembre 2022, Château de Carrouges (61), www.chateau-carrouges.fr ;
« Le Grand Tour de Davrinche et Masmonteil » ,
Maison des arts, parc Bourdeau, 20, rue Velpeau, Antony (92), maisondesarts@ville-antony.fr
« Thomas Ruff. Méta-photographie »,
jusqu’au 28 août 2022, Musée d’art moderne et contemporain Saint-Étienne Métropole, rue Fernand-Léger, Saint-Priest-en-Jarez (42), mamc.saint-etienne.fr
« Plossu-Granet. Italia discreta »,
jusqu’au 28 août 2022, Musée Granet, place Saint-Jean-de-Malte, Aix-en-Provence (13), www.museegranet-aixenprovence.fr
« Live Evil, Arthur Jafa »,
Luma Arles, La Mécanique générale & La Grande Halle, Parc des Ateliers, 35, avenue Victor-Hugo, Arles (13), www.luma-arles.org
« Jean Le Gac, en plein air »,
jusqu’au 30 octobre 2022, Domaine de Chaumont-sur-Loire, Chaumont-sur-Loire (41), domaine-chaumont.fr

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°756 du 1 juillet 2022, avec le titre suivant : Les artistes phares de l’été 2022

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