Les ambivalences de la transparence

Par Manou Farine · L'ŒIL

Le 1 septembre 2006 - 372 mots

Qualité ou phénomène, la transparence est de ces notions bavardes, aventureuses et commodes, capables de tout absorber. Capable d’infiltrer les territoires de l’économie, de la politique, de l’esthétique, de la sociologie ou de la psychanalyse, elle déclare aussi bien l’absolue traversée du regard que la séparation invisible. Elle parle d’opacité autant que de clarté, d’effacement comme d’apparition. Dans tous les cas,  elle engage un déchiffrement en termes de rapports et ne dédaigne pas de véhiculer quelques ambitions morales.
À la Villa Arson, François Piron et Guillaume Désange s’en sont manifestement méfiés. Ciselant un parcours sensible et tendu, la transparence y est mise en jeu par chapitres subjectifs alignant d’impeccables combinaisons d’œuvres historiques et contemporaines sans pour autant verser dans l’illustration.
Les deux commissaires ont prétexté un singulier point de départ : L’Architecture de verre, court texte en forme de manifeste publié en 1914 par le poète allemand Paul Scheerbart (1863-1915). L’auteur, qui fréquentait alors le cercle des architectes expressionnistes, y détaillait une architecture de verre vertueuse. Il y promettait la bonification morale d’une humanité environnée de verre coloré et ornemental, bien loin du pan de verre transparent défendu quelques quinze années plus tard par les architectes fonctionnalistes.
L’exposition évite d’ailleurs soigneusement cette brèche-là, pour dénouer quelques séquences plus fragiles et prudentes mettant en œuvre les ambivalences de la transparence et de sa quête.  Autrement dit, peu de transparence au sens littéral, au bénéfice d’une transparence souvent signalée par sa révocation ou sa seule idée : larmes cristallines sculptées à déposer sous l’œil comme ornement et indice d’humeur photographiées par Joe Scanlan, cube de condensation de Hans Haacke, germinations de poussière sur les vitres des lieux devenues peaux suspectes sous l’influence d’Ignasi Aballi, sublime diaporama de Dan Graham photographiant son propre reflet dans un mille-feuille de vitres bientôt opacifiées de feuilles.
L’exposition parle bien de visibilité, de désir, de frustration, de brisure, d’éblouissement, rappelant que le pan de verre est ce qui autorise le passage du regard et interdit celui du corps. Elle affirme que la transparence, comme phénomène optique, ne se rend jamais autant visible que lorsqu’elle est contestée.

« Intouchable, l’idéale transparence », Villa Arson, 20, avenue Stephen Liégard, Nice (06), tél. 04 92 07 73 73, www.villa-arson.org, jusqu’au 24 septembre 2006.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°583 du 1 septembre 2006, avec le titre suivant : Les ambivalences de la transparence

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