Biennale

ART CONTEMPORAIN

Les affinités électives de Jan Fabre

Par Pauline Vidal · Le Journal des Arts

Le 13 décembre 2017 - 773 mots

OSTENDE / BELGIQUE

Commissaire invité de la triennale à Ostende, l’artiste belge propose une sélection qui fait écho à ses préoccupations artistiques et existentielles.

Ostende. Pour ceux qui ont assisté à son spectacle à La Villette à Paris, en septembre 2017, Jan Fabre, né à Anvers en 1958, a confirmé sa réputation d’artiste excessif et provocateur, mêlant dans le bruit et la fureur, durant près de vingt-quatre heures, le sperme, le sang et la sueur.

C’est à une autre échelle, tout aussi gigantesque, qu’il se confronte aujourd’hui, à savoir celle d’une ville entière. Cité portuaire au passé tourmenté, tour à tour assiégée par les Espagnols au XVIIe siècle, puis au XVIIIe siècle par l’armée anglo-­hollandaise, Ostende devint une station balnéaire très à la mode, sacrée « reine des plages » par le roi Léopold II, qui en fit sa résidence d’été. Ostende est aussi la ville de James Ensor, celle où est né Léon Spilliaert ou encore celle où est mort Constant Permeke, pour ne citer que quelques grands noms de l’art belge.

Inspiré par ce riche passé, Jan Hoet, véritable pape de l’art contemporain en Belgique, mit en place en 2014 une triennale, visant à faire dialoguer des signatures internationales de l’art contemporain avec des artistes des XVIIIe, XIXe et XXe siècles. La mort prématuré de ce commissaire avant l’ouverture de l’événement transforma cette première édition (dont le titre devint « La mer. Salut d’honneur Jan Hoet ») en un hommage à cet homme, parfois très controversé, qui fit la pluie et le beau temps sur la scène belge.

Artiste invité en 2014, Jan Fabre est convié à se transformer en artiste-commissaire pour la deuxième édition. En association avec la jeune Joanna De Vos, il a sélectionné plus de 70 artistes contemporains dont le travail reflète à bien des égards ses propres préoccupations. L’événement se déploie aux quatre coins de la ville, dans l’espace public et les lieux culturels.

Intitulé « Le Radeau. L’art (n)’est (pas) solitaire », on aurait pu imaginer une manifestation dédiée aux problématiques migratoires qui hantent notre quotidien. Mais c’est mal connaître Jan Fabre, qui se méfie des « œuvres politiquement correctes » pour reprendre ses termes. Certes, cette question n’est pas absente comme l’illustre avec une grande poésie la vidéo de Enrique Ramirez, Cruzar un muro, qui ouvre la triennale au Mu.ZEE d’Ostende, cœur de l’événement. Installés sur un radeau imaginaire, trois personnages nous livrent en voix off leurs interrogations sur une vie à venir.

Mais le point de départ de la triennale est le célèbre Radeau de la méduse de Théodore Géricault, qui est rappelé dans le titre de l’exposition. Les études préparatoires de ce chef-d’œuvre sont présentées à côté d’une des œuvres de jeunesse de Jan Fabre datée des années 1980 (la seule et unique qu’il expose dans cette triennale) et qui n’est autre qu’un bateau symbolisant la condition de l’artiste. Ce dialogue aux allures de confrontation, qui invite à réfléchir sur la place et le rôle de l’artiste dans la société au sens large, a guidé l’ensemble de la sélection des artistes de cette édition. Beaucoup des œuvres présentées sont des allégories de la condition humaine, à l’instar de la vidéo de Bill Viola de 2004 qui revisite l’histoire du Déluge, ou encore des peintures énigmatiques de Borremans de 2015 et des tissages de fil rouge autour de barques échouées, également de 2015, de Chiharu Shiota.

On revoit avec émotion Sigalit Landau, filmée nue au milieu de pastèques à la chair rouge sang flottant sur la mer Morte. Berlinde de Bruyckere donne à voir au sommet de la tour Saint-Pierre une sombre et hypnotique vidéo réalisée dans un abattoir d’Anderlecht à Bruxelles. Certaines œuvres sont plus directement politiques et ancrées dans le présent, comme le film de Mika Rottenberg montrant des vendeurs de jouets en plastique absorbés par leur écran d’ordinateur ou Le Centre de détention provisoire d’Adrian Paci. Parfois l’humour se fait grinçant avec Enrique Marty et ses Faux Monuments qui revisitent l’histoire du siège de l’armée espagnole ou absurde avec Messieurs Delmotte qui se propose d’étudier le tourisme sur la côte flamande à travers une série d’actions hilarantes.

Notons enfin la programmation d’une série de performances qui laissent présager de moments riches en émotion et ne laisseront personne indifférent. Pour donner un avant-goût, le jour de l’inauguration, le 20 octobre dernier, le stade de foot s’est transformé en une arène au sein de laquelle se sont affrontés les commissaires les plus célèbres de l’histoire de l’art comme Harald Szeemann et des artistes tout aussi célèbres. Pour Jan Fabre, l’art, comme l’existence, est un combat.

 

Le Radeau. L’art (n)’est (pas) solitaire,
Triennale du 20 octobre 2017 au 15 avril 2018, Ostende (Belgique).

 

Légende photo

Sigalit Landau, DeadSee, 2005, vidéo © Sigalit Landau

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°491 du 15 décembre 2017, avec le titre suivant : Les affinités électives de Jan Fabre

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