L’élève des Grâces

Versailles offre sa première rétrospective à Nattier

Le Journal des Arts

Le 19 novembre 1999 - 831 mots

Répétitif. Superficiel. Jean-Marc Nattier n’a guère été épargné par une postérité ingrate. La rétrospective présentée au château de Versailles, riche de 80 tableaux, soit un tiers de l’œuvre peint, devrait sensiblement modifier ces jugements péremptoires. Véritable chronique du succès, cette série de portraits souligne non seulement la variété des commanditaires, dépassant largement le cadre de la Cour et même du royaume, mais aussi la finesse d’un peintre apte à saisir les mouvements de l’âme.

VERSAILLES - À lui seul, le portrait de Manon Balletti, choisi pour illustrer l’affiche de l’exposition, suffirait à contredire tous les jugements négatifs portés sur l’art de Jean-Marc Nattier. La grâce et la subtile mélancolie de l’expression, qui en font certainement “l’un des plus beaux visages du XVIIIe siècle”, pour reprendre les termes de Xavier Salmon, commissaire de l’exposition, rappelle que l’artiste n’est pas resté prisonnier de la formule qu’il avait élaborée et popularisée. La vingtaine de toiles conservées au château de Versailles, notamment les portraits des filles de Louis XV, ont sans doute contribué à véhiculer cette image déformée de Nattier, peintre de femmes, toutes semblables, et peintre de cour. Cette formule personnelle, Nattier a un peu tâtonné avant de la mettre au point, ainsi que le suggèrent les tableaux rassemblés dans la première salle. Pour les portraits de ses débuts, il s’inspire volontiers des artistes en vogue, de Desportes à Rigaud, de Santerre à Raoux, et s’essaye au grand format. Comme pour faire mentir la légende, cette pièce est dominée par des effigies masculines, avec Maurice de Saxe et le duc de Richelieu, deux des plus grands libertins de ce siècle. Des hommes à femmes, certes.

En 1738, avec le portrait de la marquise d’Antin, la formule est en place. S’appuyant d’abord sur une gamme chromatique mêlant le gris perle, le bleu, le vert et le rose, Nattier décline en virtuose ces accords froids et signe ainsi le triomphe de la peinture sur la nature. Toutefois, la suprême harmonie du coloris ne doit pas occulter l’audacieuse technique de l’artiste, jouant sur ce que Xavier Salmon appelle le “pouvoir d’accommodation de l’œil”. Le principe en est simple : l’œil, à une certaine distance, fait naturellement le point sur une zone floue, si celle-ci est cernée par une surface nette. Ainsi, alors que le visage du modèle est traité d’une manière assez fondue, le vêtement est au contraire fermement brossé à l’aide d’empâtements.

Ce n’est que l’un des aspects de sa méthode de travail mis en évidence par l’exposition. Les dessins fournissent d’autres renseignements utiles sur la genèse de ses tableaux. Nattier peignait directement sur la toile le visage du modèle, tandis qu’il étudiait l’attitude puis le costume dans des dessins. Conservées dans son atelier, ces feuilles servaient parfois à plusieurs reprises, pour des commanditaires moins prestigieux et moins fortunés. Quant aux études de visages, elles étaient réutilisées quand le modèle ne pouvait accorder une nouvelle séance de pose. Pour les nombreux portraits des filles de Louis XV, les mêmes ont ainsi servi à plusieurs années d’intervalle, accréditant l’image d’une famille royale préservée du vieillissement. Servi par ces techniques, le peintre pouvait répondre, sans l’aide d’un quelconque atelier, aux nombreuses commandes venues de toute l’Europe.

Parmi la vingtaine de dessins identifiés par Xavier Salmon au cours de ses recherches, une spectaculaire Chute des anges rebelles se présente comme la face cachée d’un art aimable et galant, et rappelle la vocation initiale de Nattier, reçu à l’Académie comme peintre d’histoire. Tout au long de sa carrière, il semble s’être adonné à cet exercice. Mais, devant les 80 tableaux rassemblés sous les verrières de l’aile du Nord, on ne saurait pourtant affirmer que Nattier fut un portraitiste par défaut, tant semblent évidents le plaisir de peindre et le goût de la figure humaine. Si, sur ses portraits mythologiques ou allégoriques, il a peut-être gommé les aspérités propres à chaque physionomie, certaines effigies, dépouillées des oripeaux de la mythologie, comme Marie Leszczynska ou Anna Élisabeth Leerse, révèlent une singulière finesse dans l’analyse psychologique et un souci du naturel.

La noblesse et la grande bourgeoisie, de France et d’ailleurs, ne s’y est pas trompée, se bousculant pour obtenir un tableau de Nattier, bientôt imité dans toute l’Europe : têtes couronnées, aristocrates, bourgeoisie enrichie et bientôt anoblie, et même les fermiers généraux, soucieux de s’attacher les services d’un peintre associé à la famille royale. Cette série de toiles compose un inestimable portrait d’un siècle, avec ses vanités et ses faux-semblants, mais aussi son idéal de beauté et d’harmonie.

JEAN-MARC NATTIER (1685-1766)

Jusqu’au 30 janvier, château de Versailles, 78000 Versailles, tél. 01 30 83 77 43, tlj sauf lundi, 25 décembre et 1er janvier 11h-17h30. Catalogue par Xavier Salmon, RMN, 352 p., 92 ill. coul. 265 ill. n&b, 345 F. ISBN 2-7118-3879-X. - Et aussi NATTIER, Musée Condé, château de Chantilly, 60500 Chantilly, tél. 03 44 62 62 62, tlj sauf mardi 10h30-12h45 et 14h-17h. - À lire : Philippe Renard, Nattier, éd. Monelle Hayot, 240 p., 150 ill. coul., 550 F. ISBN 2-903824-26-6.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°93 du 19 novembre 1999, avec le titre suivant : L’élève des Grâces

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