Arts asiatiques

Le théâtre entre en scène

Par Bérénice Geoffroy-Schneiter · Le Journal des Arts

Le 2 juin 2015 - 715 mots

Raconter 2 000 ans de théâtre en Asie, tel est le pari réussi du Musée Guimet
qui a bénéficié, pour l’occasion, de prêts exceptionnels.

PARIS - « Selon le Natyashastra indien, le plus vieux traité de théâtre connu, lorsque les dieux se rendirent compte qu’il manquait quelque chose d’essentiel à la création, ils convoquèrent un personnage illustre nommé Bharata et l’adjurèrent de créer quelque chose qui soit un objet de jeu, quelque chose qui soit à voir et à entendre, et surtout qui soit destiné à toutes les classes. Ce fut le théâtre », rappelle l’écrivain Jean-Claude Carrière dans la préface du catalogue de l’exposition que le Musée Guimet consacre aux mille et une formes du théâtre asiatique. Nul écrin muséal ne pouvait mieux convenir que ce lieu encore hanté par le souvenir des danses « brahmaniques » exécutées, en 1905, par la mythique Mata Hari devant un Tout-Paris médusé par tant d’exotisme et de sensualité !

Rituel et sacré
Sous la houlette d’Aurélie Samuel, responsable des collections textiles, est rassemblée une kyrielle de costumes, masques et marionnettes reflétant, par leur variété et leur splendeur, l’univers extrêmement codifié de ces « jeux des dieux » transformés en « drames joués par des hommes ».
Puisant ses lointaines racines dans le rituel et le sacré, le théâtre, en Asie est ainsi devenu, au fil des siècles, un divertissement profane et populaire, un art total jouant sur le merveilleux et le spectaculaire. Inspiré des grandes épopées du Mahabharata et du Ramayana en Inde et dans les pays indianisés, d’essence plus historique et légendaire en Chine et au Japon, il n’en demeure pas moins extrêmement vivant, moral et didactique, opposant de façon manichéenne dieux et héros, forces du bien et forces du mal. Point de hasard si les films de Bollywood et de Hongkong, mais aussi les recueils de mangas japonais, ne cessent de puiser à satiété dans ce vivier foisonnant de personnages et de situations rocambolesques !

S’il s’est sécularisé, le théâtre asiatique n’a jamais recherché, cependant, à s’approcher du réel. « Un acteur de nô, de l’opéra chinois ou du kathakali indien ne se présente pas devant nous comme un être humain. Souvent, il fait même tout pour ne pas nous ressembler. il s’avance sous des parures, des masques et des maquillages qui visent à le rendre méconnaissable », résume Jean-Claude Carrière qui, rappelons-le, signa avec Peter Brook une mémorable adaptation du Mahabharata en 1985. L’exposition montre ainsi un florilège de ces costumes sophistiqués et imposants qui métamorphosent l’acteur en véritable décor scénique. « En Inde et en Asie du Sud-Est, les costumes, composés de plusieurs couches superposées d’étoffes, sont particulièrement impressionnants afin de restituer la puissance des dieux et des démons. En Extrême-Orient, le décor étant souvent absent de la scène, costumes et parures en faisaient office, ce qui explique leur taille démesurée et leur caractère outrancier. Quant l’acteur se déplace, il porte son décor sur lui et le transporte avec lui », explique Aurélie Samuel, qui, non contente de fouiller dans les réserves du musée, a su obtenir des prêts exceptionnels auprès de la Fondation Oriente à Lisbonne, mais aussi de collections privées. On admirera ainsi tout particulièrement cet extraordinaire ensemble de costumes ayant appartenu au grand acteur chinois de l’Opéra de Pékin Shi Pei Pu, qui les a miraculeusement sauvés des ardeurs destructrices de la Révolution culturelle. Non moins sophistiqués apparaissent ces masques du théâtre nô japonais, sculptures à part entière faisant partie intégrante du processus dramatique. Autrefois perçu comme une véritable incarnation des dieux, il est devenu, selon Peter Brook, « un portrait de l’âme, une enveloppe extérieure reflétant à la perfection et avec sensibilité la vie intérieure ».
Kimonos japonais aussi somptueux que symboliques, marionnettes à ombres ou à fils d’Asie du Sud-Est et de Chine, barong et autres créatures démoniaques de Bali parachèvent ce voyage haut en couleur sur les scènes d’Asie. Un conseil : prolonger l’enchantement visuel en assistant à l’un des nombreux films ou spectacles donnés dans l’auditorium du musée.

Du nô à Mata Hari

Commissariat général : Sophie Makariou, présidente du Musée Guimet
Commissariat scientifique : Aurélie Samuel, responsable des collections textiles ; Kévin Kennel, commissaire associé ; Sylvie Pimpaneau, responsable de la collection Kwok-on, Fondation Oriente
Scénographie : Loretta Gaïtis, architecte scénographe
Nombre de pièces : environ 130

Du nô à Mata Hari, 2000 ans de théâtre en Asie

Jusqu’au 31 août, Musée national des arts asiatiques-Guimet, 6, place d’Iéna, 75116 Paris, tél. 01 56 52 53 00, www.guimet.fr, tlj sauf mardi 10-18h, entrée 9,50 €.
L’exposition sera présentée du 26 octobre 2015 au 25 avril 2016 au Musée des arts asiatiques de Nice. Catalogue, coéd. MNAAG/Artlys, 256 p., 39 €.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°437 du 5 juin 2015, avec le titre suivant : Le théâtre entre en scène

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