Le « romantisme » en Belgique ou la quête d’une identité nationale

Par Manou Farine · L'ŒIL

Le 1 mai 2005 - 678 mots

À l’occasion de ses 175 ans, la Belgique offre un hommage en forme de réparation à sa première génération de peintres. Rassemblés sous l’hypothétique bannière du romantisme, les artistes présentés témoignent d’une pratique picturale emphatique longtemps amalgamée au style pompier et à la seule peinture d’histoire.

La manifestation bruxelloise règle son pas sur celui du règne de Léopold Ier (1830-1865), suggérant par la même une correspondance d’ordre historique et politique entre l’irruption d’un « romantisme » pictural en Belgique et les fondements identitaires de la toute jeune nation proclamée en 1830. C’est à cette nation naissante qu’il revient de se saisir du corpus « romantique » tel qu’il s’installe avec grandiloquence et force officialité dans les années 1830, entre Bruxelles et Anvers. Un surgissement tardif qu’il reste sans doute à clarifier, mais dont l’emphase première témoigne de la volonté de justifier l’existence même de la nation et de légitimer une école belge sans réels soubassements esthétiques, au service de la bourgeoisie libérale.

La peinture comme interprète de la nation
À ce besoin de légitimité et d’émancipation, répond avec enthousiasme une peinture qui trouve dans l’arsenal de l’histoire, sujets et héros qualifiés pour exalter la cohésion de la nation. Art et nationalisme bon teint font désormais cause commune. Quitte à s’arranger avec les événements. Quitte à ce qu’inspiration et propos recourent à l’histoire bien plus qu’à la peinture. Célébrer la jeune Belgique et ses héros, valoriser ses sources nationales, tel est le programme mené avec succès par Gustave Wappers (1807-1874), Louis Gallait (1810-1887), Henry Leys (1815-1869), Henri de Caisne (1799-1852), Nicaise De Keyser (1813-1887) ou même le magistral et pittoresque Antoine Wiertz (1806-1865) qui convoquent tour à tour Godefroi de Bouillon, Philippe le Bon, la prospère époque bourguignonne des XIVe et XVe siècles, le peuple héroïque et les émeutes contemporaines de 1830. Une passion romantique pour l’histoire autant que pour le style des maîtres passés – Rubens en tête, que Wappers croit renouveler et Wiertz concurrencer – qui suggèrent à l’opinion une préfiguration de la nation. Le néoclassicisme en vigueur au début du siècle, dominé par la figure de David, laisse alors place à une facture déclamatoire qui trouve son point d’ancrage à l’académie d’Anvers.

Des formats conquérants
Pour accueillir ces compositions bouillonnantes, cette alliance singulière de « romantisme » patriotique et d’historicisme, les formats se dilatent à l’excès. Wappers ou Wiertz en feront leur signature, qui présentent de véritables machines théâtrales, renouant avec la tradition monumentale flamande, à l’image du fameux et gigantesque Épisode des journées de septembre 1830 que signe Wappers en 1834. Lointain et compact cousin de Delacroix, le tableau restitue en une construction pyramidale le désordre sanglant qui suit la bataille, amoncelant femmes, enfants, nourrissons, blessés et mourants autour du drapeau belge, sur la Grand Place à Bruxelles. Bien d’autres toiles témoignent alors de cette même grandiloquence un brin convenue, énergiquement enclavée dans les aspirations nationales du pays.

Quels « romantismes » ?
Parallèlement à cette scène officielle largement soutenue par Léopold Ier – dont la personnalité imprima vigoureusement cette inflexion nationale à la production artistique –, l’époque assiste à un renouveau de la peinture de paysage – exotique ou autochtone – associée à une génération d’artistes mineurs. Une peinture moins affectée, restituant des scènes villageoises et rustiques par des manières archaïques, renouant avec la nature à l’écart des villes et libérant des accents intériorisés, à l’image de Ferdinand De Braekeleer (1792-1883) ou de Jean-Baptiste Madou (1796-1877) annonçant les inflexions réalistes à venir. Moins qu’une manière d’être au monde, le « romantisme » supposé par la manifestation anniversaire peine finalement à se préciser. Il fait office d’enseigne maniable et unifiante, pour signifier un souffle collectif teinté d’académisme, guignant ici vers le mystère symboliste, là vers un tardif romantisme à la française que dominerait la figure du héros précipité dans l’histoire.

« Le Romantisme en Belgique », BRUXELLES, Musées royaux des beaux-arts de Belgique, 3 rue de la Régence ; espace culturel ING, 6 place Royale ; musée Antoine Wiertz, 62 rue Vautier, tél. 32 2 508 32 11, www.romantisme.be, jusqu’au 31 juillet. Le Romantisme en Belgique. Une sélection commémorant le 175e anniversaire de la Belgique, éditions Racine en français, 192 p, 30 euros.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°569 du 1 mai 2005, avec le titre suivant : Le « romantisme » en Belgique ou la quête d’une identité nationale

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