XXE SIÈCLE

Le rêve brisé de Georges Dorignac

Par Élisabeth Santacreu · Le Journal des Arts

Le 23 mai 2019 - 543 mots

PARIS

Ce remarquable dessinateur ouvrait au moment de sa mort une voie personnelle et insolite dans les arts décoratifs.

Paris. Après l’exhumation de son œuvre dans les années 1990 – notamment par l’historien de l’art Pierre Rosenberg – le peintre Georges Dorignac (1879-1925) a retrouvé l’attention du public au Musée des beaux-arts de Bordeaux ou à la Piscine à Roubaix en 2016 et 2017 avec les premières expositions qui lui ont été consacré depuis 1928. Cette année, ce n’est plus en région, mais à Paris, et en partenariat avec le Salon du dessin, que sa biographe, Marie-Claire Mansencal, et Saskia Ooms, responsable de la conservation du Musée de Montmartre, montrent une rétrospective de 85 œuvres de l’artiste.

Éphémère élève de Bonnat, l’artiste se tourne vers l’impressionnisme (le critique d’art Roger Marx comparait ses scènes familiales à celles de Berthe Morisot), puis s’inspire de Paul Signac et d’André Derain qu’il a rencontrés en 1906. Ses paysages à l’aquarelle entrent dans les collections publiques et les portraits à l’huile de sa compagne et de ses enfants, datant des années 1906-1908, lui valent des éloges dans les différents salons où il expose. Ce sont pourtant deux fusains de 1903 qui se détachent de la production de cette époque par leur composition et leur maîtrise de la matière.

Il voulait être muraliste

À partir de 1912, Georges Dorignac devient « Le maître des figures noires ». Il est reconnu par la critique – Apollinaire, par exemple – et les amateurs pour ses grandes feuilles travaillées au fusain, à l’encre grasse ou à la sanguine et ses monotypes. Une cinquantaine de ces œuvres, présentées par thèmes, constitue le cœur de l’exposition. Ce sont des têtes d’expression et des portraits, des masques et des mains, où est prégnante l’influence de Rodin – qui disait de lui « Dorignac sculpte ses dessins »–, des nus massifs et des figures d’hommes et de femmes représentés dans leur travail. Une sculpture de Rodin, un dessin de Jean-François Millet, auquel l’artiste a été comparé, sont montrés en contrepoint. C’est pourtant à Ferdinand Hodler que font penser Femme penchée (vers 1913) [voir illustration] ou Haleuses (1912).

La suite de la rétrospective révèle que ces figures monumentales étaient des études pour des œuvres très colorées d’art décoratif que le peintre ambitionnait de mener à bien. Il y mêlait les influences les plus hétéroclites recueillies au Musée Guimet ou dans les salles égyptiennes du Louvre. Dorignac aurait voulu être muraliste, mais personne n’a « songé à lui confier une grande surface à décorer », écrivait le critique Jean-Gabriel Lemoine en 1920. Son article de L’Art et les artistesétait illustré par un projet de vitrail, Le Christ en croix (vers 1918). La toile correspondante, qui n’avait jamais été montrée au public, est présentée dans la basilique du Sacré-Cœur, voisine du musée, pendant toute la durée de l’exposition.

Parmi ses derniers projets, le grand dessin Les Biches (1922) ou l’affiche du Salon d’automne de la même année laissent imaginer la figure de l’Art déco que l’artiste aurait pu devenir. Toujours insatisfait, peu productif, il cherchait encore sa voie lorsque la mort le surprit à 46 ans. Il reste cet étrange peintre qui avait atteint la notoriété avec d’austères fusains et travaillait à réaliser ce que l’historien de l’art Armand Dayot appela son « rêve de joie ».

Dorignac, corps et âme,
jusqu’au 8 septembre, Musée de Montmartre, 12, rue Cortot, 75018 Paris.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°524 du 24 mai 2019, avec le titre suivant : Le rêve brisé de Georges Dorignac

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