Bruges

Le retour du fils prodigue

La rétrospective Memling est une réussite

Le Journal des Arts

Le 1 septembre 1994 - 659 mots

On pouvait craindre l’ambiance exaltée des grandes messes culturelles, on retiendra le pieux recueillement des visiteurs qui scrutent, nez collés aux vitres, les méandres de miniatures de quelques joyaux du XVe siècle flamand. La rétrospective Memling, qui se tient au Groeninge Museum, est une réussite qui allie rigueur scientifique, respect des normes de conservation, souci didactique et mise en valeur esthétique d’une œuvre.

BRUGES - Le souci de préserver les œuvres a dicté aux organisateurs des normes très strictes. Quatre cents visiteurs seulement sont admis par heure. Chaque œuvre est présentée dans un caisson climatisé qui la protège au mieux.

L’exposition, qui déborde le cadre habituel d’une rétrospective, se visite selon plusieurs axes offrant ainsi à chacun la liberté d’y trouver ce qu’il souhaite. Les salles se succèdent selon quatorze thèmes – dont la Madone, le Christ, la famille Moreel, les portraits, Sainte-Ursule – qui mettent en scène l’œuvre de Memling, présentée sur un fond lie de vin, et la confronte à des œuvres contemporaines ou à des copies – parfois seuls témoignages à nous être parvenus –, accrochées sur un fond bleu. Sans lourdeur démonstrative, les confrontations enrichissent la vision de Memling, le resituent dans un contexte, attestent des influences reçues, témoignent du succès rencontré, des disciples et des suiveurs actifs.

Le parcours historique se clôt avec les débuts du XVIe siècle où un Gérard David, sans rien changer à l’iconographie traditionnelle, a définitivement assimilé la perspective de la Renaissance italienne.
Près de la moitié de l’œuvre de Memling (vers 1430-1494) a été réunie et, sous la rétrospective, se dévoile une époque, une société et une culture.

En marge des peintures, des objets quotidiens renvoient l’image idéale à la réalité du temps. De même, la technique n’est pas absente. La collaboration de l’Institut royal du Patrimoine artistique offre au visiteur l’occasion de découvrir le "secret des Flamands", en suivant le travail de la planche brute à l’image ultime. On découvre ainsi les méthodes d’investigation scientifiques – rayons X, infra-rouge, thermo-luminescence... – qui ont permis, non seulement d’épauler les restaurations, mais de mieux comprendre l’élaboration de l’image.

Retour au catalogue classique Ce cheminement multiple qui, autour de l’œuvre, éclaire les techniques, l’histoire des mentalités, l’évolution des arts ou la sociologie, illustre aussi les voies de la redécouverte de Memling, peintre quasi oublié que le XIXe siècle a revisité avec un pathos romantique qui perturbera longtemps la compréhension de l’œuvre. Avec finesse, l’exposition s’achève sur Une ville abandonnée du symboliste Fernand Khnopff, où l’on voit la statue de Memling déserter Bruges-la-Morte.

Didactique, l’exposition s’entoure aussi de l’arsenal traditionnel propre à toute manifestation internationale. Les organisateurs ont délibérement décidé de revenir au catalogue classique qui, après une courte biographie due à Dirk De Vos, l’auteur du monumental catalogue raisonné (le JdA n° 5, juillet-août), commente chaque œuvre et permet au visiteur de profiter non seulement de l’image, mais d’en comprendre les mécanismes spécifiques. À juger par le nombre d’exemplaires tenus en main par des visiteurs, l’option était la bonne.

À côté de ce compagnon de visite – qui a parfois une fâcheuse tendance à trahir les couleurs et à forcer les lumières –, un volume d’essais réunit les contributions des meilleurs spécialistes, offrant tous un éclairage complémentaire à l’exposition : influence germanique avec Michael Wolfson, la technique picturale avec Catheline Périer d’Ieteren, l’incidence de la musique avec Reinhard Strom ou l’interprétation du mythe constitué au XIXe siècle.

S’il fallait retenir une image de cette commémoration, ce serait le triptyque de Jan Crabbe, démembré depuis plus d’un siècle, dont le panneau central et les volets sont aujourd’hui répartis entre Vicence, Bruges et New York. Leur réunion, même temporaire, vaut en soi le déplacement. Pour la poésie de ces retrouvailles longtemps attendues.

\"Memling\"

jusqu’au 15 novembre, Groeninge Museum, réservation et information : 050 34 79 59, fax : 050 34 84 88. Réservation par FNAC.

Catalogue, 256 p. abondamment illustré (27,5 x 23),1 200 F, avec un volume d’essais, 129 p., illustré, 400 FB.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°6 du 1 septembre 1994, avec le titre suivant : Le retour du fils prodigue

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