Monographie

Le retour de Mabuse

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 28 février 2011 - 643 mots

Précurseur du maniérisme nordique, Jan Gossaert fait l’objet d’une grande exposition monographique à la National Gallery de Londres.

LONDRES - Avant l’événement de la fin de l’année consacré à Léonard de Vinci, la National Gallery, à Londres, prête ces cimaises à un sujet plutôt rare : une courte monographie sur un peintre qui signait ses toiles du nom de Malbodius, soit Mabuse en français. Nul mystère en réalité dans ce nom qui renvoie simplement au lieu de naissance de l’artiste, la ville de Maubeuge, alors située dans les anciens Pays-Bas dirigés par Marguerite d’Autriche (1480-1530), tante de Charles Quint et mécène dispendieuse. Jan Gossaert (actif entre 1503 et 1532), de son vrai nom, n’avait pas fait l’objet d’une exposition monographique depuis 1965. De l’avis des spécialistes, son œuvre est en effet difficile à réunir du fait de sa dispersion dans de nombreux musées européens et américains. La fragilité des peintures, souvent exécutées sur bois, ne contribue pas davantage à leur mise à disposition par les conservateurs. L’événement pourrait donc sembler d’importance.
Passée préalablement à la National Gallery of Art de Washington, l’exposition a été sérieusement réduite pour cette étape londonienne. Les amateurs du Flamand, rangé par le grand historien d’art allemand Max Friedländer au rayon des « maniéristes anversois », déploreront ainsi de ne pas y retrouver quelques tableaux de premier plan, comme l’extraordinaire Triptyque de Malvagna (1510) conservé à Palerme et prêté à Washington, ou l’étrange et très accomplie Danaé (1527) de Munich, œuvre tardive qui ne relève déjà plus véritablement du maniérisme. Le travail préalable à ses deux expositions a néanmoins permis de décanter la production du peintre et d’en éditer le catalogue complet en une épaisse somme – non sans remédier à quelques divergences de point de vue entre spécialistes, relatives notamment à la paternité de la grande Adoration des mages (1510-1515, Londres, National Gallery), pour laquelle Américains et Britanniques sont toujours en désaccord sur la participation ou non du Brugeois Gérard David. 

Maniérisme nordique
Que nous apprend cet accrochage d’une trentaine de peintures et de quelques dessins ? Tout d’abord, que la courte carrière de cet artiste, considéré comme l’un des précurseurs du maniérisme nordique, commencée à Anvers où il est inscrit à la guilde des peintres vers 1503, est encore mâtinée de zones d’ombre. Peintre de cour, actif auprès de l’évêque d’Utrecht Philippe de Bourgogne, Mabuse a participé avec certitude à l’ambassade italienne de son protecteur, en 1508. Plusieurs feuilles de sa main témoignent de son travail d’observation des vestiges antiques. Mais ce voyage n’a pas fait pour autant du Flamand un prosélyte du style italien. Si les architectures à l’antique se multiplient dans les arrière-plans de ses tableaux dans une profusion décorative encore souvent gothique (Saint Luc peignant la Vierge, vers 1520, Vienne, Kunsthistorisches Museum), les figures qu’il peint dès son retour sur ses terres natales puisent encore dans la tradition naturaliste nordique. Cela, même si certaines torsions improbables, appliquées à des sujets mythologiques, le rapprochent inévitablement du maniérisme italien (Hercule et Déjanire, 1517, Birmingham, The Barber Institute of Fine Arts).
Si son travail sur le nu s’inspire au départ, de manière évidente, de l’Adam et Ève de Dürer, Gossaert penche rapidement vers une version plus érotisée du sujet. Son mécène n’y est pas indifférent, qui lui commande, en collaboration avec Jacopo de Barbari, un décor sur ce thème pour son château de Duurstede, aujourd’hui disparu. Gossaert excelle par ailleurs dans d’autres genres, comme la peinture de dévotion, multipliant les petits formats de Vierge à l’Enfant portatifs et, en bon Flamand, les portraits, comme en témoigne notamment le remarquable Portrait de commerçant, vers 1530 (Washington, National Gallery of Art). Ce sont les pans de sa production les plus représentés dans cette exposition londonienne. Trop sans doute, et sans surprise. 

Jan Gossaert

Commissariat : Susan Foister, directrice adjointe des collections à la National Gallery, Londres

Nombre d’œuvres : 80

LA RENAISSANCE DE JAN GOSSAERT

Jusqu’au 30 mai, National Gallery, aile Sainsbury, Trafalgar Square, Londres, www.nationalgallery.org.uk, tlj 10h-18h, vendredi jusqu’à 21h. Catalogue complet en anglais (Man, Myth and Sensual Pleasures, Jan Gossaert’s Renaissance), éd. Yale University Press, États-Unis, 2010, 496 p., 85 dollars, ISBN 978-0-3001-6657-6

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°342 du 4 mars 2011, avec le titre suivant : Le retour de Mabuse

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