Photographie

Le quotidien transfiguré de Graciela Iturbide

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 1 avril 2022 - 669 mots

PARIS

Plus de 200 images des années 1970 à nos jours sont réunies pour la première exposition d’envergure en France de la photographe mexicaine, à la Fondation Cartier pour l’art contemporain.

Paris.« Heliotropo 37 » est l’adresse du studio de Graciela Iturbide à Mexico. Choisie pour titre de la rétrospective que lui consacre la Fondation Cartier pour l’art contemporain, l’adresse renvoie à un étonnant bâtiment en brique sur trois niveaux, conçu par son fils, l’architecte Mauricio Rocha, pour abriter les archives et la maison-atelier de la photographe. L’intérieur révèle un univers harmonieux fait de patios ajourés et rempli de meubles traditionnels mexicains, livres, plantes et objets d’art populaire acquis ou offerts au cours des voyages de Graciela Iturbide au Mexique ou ailleurs. « Graciela souhaitait un lieu protégé des regards extérieurs dans lequel il serait possible de se recueillir et de travailler », explique Mauricio Rocha, qui signe la scénographie de l’exposition restituant l’esprit des lieux. Des photographies couleur du « Heliotropo 3 » placées en regard de la biographie de la photographe en révèlent l’atmosphère.

Dès l’entrée de l’exposition, éclairages subtils et hauts murs recouverts d’une chaux couleur argile, marqués en leur milieu d’une ouverture longiligne, créent un écrin feutré, propice à l’observation. Le choix d’exposer les grandes photographies en noir et blanc dépourvues de toute présence humaine, réalisées au cours des trois dernières décennies, décontenance toutefois le visiteur qui connaît le travail sur les communautés indigènes du Mexique. Un sentiment de perte de repères que renforce l’inscription des légendes en blanc à même le sol, rendues de fait illisibles. La présentation au rez-de-chaussée de son travail sur le jardin botanique d’Oaxaca, au-delà de la beauté de chaque image, n’aide pas plus à comprendre le fil de la narration.

C’est finalement au sous-sol de la Fondation que l’on perçoit l’évolution de l’itinéraire de Graciela Iturbide (née en 1942) et les résonances avec sa vie. Les séries des années 1970-1980 sur les Indiens du désert de Sonora et sur les femmes zapotèques du Juchitán dont Notre-Dame des Iguanes [voir ill.], devenue une icône, s’y développent à merveille ainsi que d’autres séries tout aussi marquantes comme celles sur les sacrifices des chèvres dans la région de Mixteca ou sur les rituels liés à la mort à Chalma, petite ville au sud de Mexico. Les scènes du quotidien, de fêtes, de rituels ou de cérémonies sont fascinantes, les tirages d’époque, sublimes et la fidélité au noir et blanc, indéfectible.

L’influence d’Álvarez Bravo

« Le travail du photographe est de faire une œuvre forte et poétique à travers le quotidien », souligne Graciela Iturbide dans le catalogue de l’exposition. Cette recherche constante que montre très bien l’exposition est mise en pratique en Inde d’où émergent à partir de 1998 un ensemble de photographies insolites de paysages et d’oiseaux. D’autres approches plus attachées aux symboles se développeront au fur et à mesure de ses voyages effectués au Mexique ou dans le monde.

De ses tout débuts, seule une photographie a été retenue par Alexis Fabry et Marie Perennès, commissaires de l’exposition. Montrant une femme attablée dans un café, elle date de 1969, année de son inscription à l’âge de 27 ans à l’école de cinéma où enseigne alors Manuel Álvarez Bravo dont le livre sur les Jeux olympiques d’été de 1968 et sa rencontre avec lui « ont sans doute changé [sa] vie », souligne-t-elle. « À mes débuts, j’ai photographié la ville de Mexico, puis grâce à Manuel Álvarez Bravo j’ai pénétré le monde indigène très marginalisé au Mexique, et il m’a tellement fascinée que j’ai ressenti le besoin, par-dessus tout, de le connaître. »

En 1971, la disparition de sa fille Claudia à l’âge de 6 ans la conduira à photographier pendant cinq ans le rituel funéraire des angelitos, ces enfants morts prématurément que l’on habille en ange. « J’avais besoin de me confronter à la mort des autres, peut-être pour soulager ma propre peine. » Dans l’itinéraire photographique de Graciela Iturbude, travail et vie se confondent depuis cinquante ans, dans une évocation parfois de la photographie comme thérapie personnelle et lumière vitale des jours sombres.

Graciela Iturbide, Heliotropo 37,
jusqu’au 29 mai, Fondation Cartier pour l’art contemporain, 261, boulevard Raspail, 75014 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°585 du 18 mars 2022, avec le titre suivant : Le quotidien transfiguré de Graciela Iturbide

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