Genre

Le portrait disséqué

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 20 octobre 2006 - 602 mots

Cherchant à évoquer les changements que connut le genre entre 1770 et 1830, le Grand Palais signe un parcours scolaire et sans surprise.

 PARIS - « Portraits publics, portraits privés, 1770-1830 » : la dernière exposition du Grand Palais adopte des allures de travaux universitaires. Organisée conjointement avec la Royal Academy of Arts de Londres et le Solomon R. Guggenheim Museum de New York, la manifestation évoque les bouleversements que connut le genre entre 1770 et 1830. « Le portrait a incarné une affirmation de l’individu autonome face à des structures politiques, sociales et culturelles en pleine mutation », nous expliquent dans le catalogue les commissaires, Sébastien Allard et Guilhem Scherf, tous deux conservateurs au Musée du Louvre. Pour le moins générale, cette thématique permet de présenter quelques toiles renommées, tel le portrait de don Manuel Osorio Manrique de Zuniga par Goya, aux côtés d’œuvres de qualité inégale. Si la démonstration se veut internationale (européenne et américaine), on note une forte présence d’artistes anglo-saxons tels Gilbert Stuart, Thomas Lawrence, John Singleton Copley, Joshua Reynolds ou Thomas Gainsborough. En dépit d’une scénographie soignée et aérée, le parcours reste sans surprise et les sous-sections qui le composent apparaissent scolaires : « Souverains et chefs d’État », « Portraits de famille », « Portrait de l’artiste », « L’histoire incarnée »… La première salle est consacrée au portrait comme symbole du pouvoir, avec, réalisé par Ingres, l’inévitable Napoléon sur le trône impérial (1806), suivi du non moins célèbre portrait de l’Empereur dans son cabinet de travail aux Tuileries, immortalisé par David en 1812.
Citons encore le Louis XVI (1789) d’Antoine François Callet, qui représenta le monarque grandeur nature, dans un somptueux costume magnifiant son autorité. Place, ensuite, au « portrait de condition », ainsi que le définit Diderot, c’est-à-dire celui permettant d’identifier la fonction et le statut social du modèle. Ainsi de La Comtesse de La Châtre (1789) croquée par Élisabeth-Louise Vigée Le Brun un livre à la main – attribut d’une personne de qualité –, coiffée d’un imposant chapeau et dominant légèrement le spectateur. Très classique, comme le mentionne Sébastien Allard, l’œuvre contraste avec le tableau de David Robertine Tourteau, marquise d’Orvilliers (1790), dans lequel l’artiste a cherché à capter la personnalité de son modèle plus qu’à illustrer ses titres de noblesse. Contrastant avec les codes esthétiques de l’Ancien Régime, la toile révèle le genre dans sa conception moderne, alors que l’individu prend le pas sur le statut social. Cette période se caractérise aussi par la multiplication du portrait sculpté, phénomène dont rend compte l’exposition en alternant habilement peintures et sculptures. Un buste en marbre d’Houdon représentant sa fille âgée de 10 mois accompagne Louise Vernet enfant peinte par Géricault, tandis que le grimaçant Autoportrait de Franz-Xaver Messerschmidt dialogue avec ceux de Reynolds ou de Jean-Baptiste Desmarais. Un espace entier est dévolu aux portraits sculptés à l’antique et plonge le spectateur dans une étrange galerie où dominent les bustes de personnalités comme Kant, taillé dans le marbre par Carl Friedrich Hagemann en 1801. C’est à Louis François Bertin, l’imposant directeur du Journal des Débats portraituré par Ingres en 1832, que revient l’honneur de clore un parcours quelque peu monotone mais qui s’accompagne d’une publication méritoire.

PORTRAITS PUBLICS, PORTRAITS PRIVÉS 1770-1830

Jusqu’au 23 janvier 2007, Galeries nationales du Grand Palais, place Clemenceau, 75008 Paris, tél. 01 44 13 17 17, www.rmn.fr/portraits, tlj sauf mardi, 10h-20h, jusqu’à 22h le mercredi. Catalogue, éd. RMN, 382 p., 49 euros. - Nombre d’œuvres : 140 - Commissaires : Sébastien Allard, conservateur au département des Peintures, Musée du Louvre ; Guilhem Scherf, conservateur en chef du département des Sculptures, Musée du Louvre

Autour du portrait

Une série de conférences et lectures accompagnent l’exposition au Grand Palais : le 18 octobre, l’historien Marc Fumaroli proposera une réflexion sur la genèse du genre et les grands moments de son développement, puis, le 8 novembre, Michelle Perrot (Paris-VII) s’intéressera aux « Femmes entre public et privé ». Par la suite, seront abordés : « Le portrait en photographie » (22 novembre), « Le portrait en quête d’identité » (6 décembre) et les « Portraits dansés » (13 décembre). Le Musée du Louvre organise lui aussi des conférences autour de sujets tel, le 23 octobre, le rôle du portrait pour faire vivre les morts dans l’Angleterre du XVIIIe siècle (Musée du Louvre, tél. 01 40 20 50 50, www.louvre.fr).

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°245 du 20 octobre 2006, avec le titre suivant : Le portrait disséqué

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