Art moderne

Toulouse (31)

Le mystérieux Monsieur Ribot

Musée des Augustins - Jusqu’au 10 janvier 2022

Par Isabelle Manca-Kunert · L'ŒIL

Le 23 novembre 2021 - 318 mots

TOULOUSE

L’émergence d’un chef-d’œuvre tient parfois à peu de chose. Selon la légende familiale, Madame Ribot aurait un jour déguisé son fils en petit mitron.

Cette vision aurait tellement plu au père du garçonnet qu’il l’aurait instantanément croqué. Puis, séduit par ce thème atypique, il aurait eu l’idée de se lancer dans une série. C’est ainsi qu’en 1861 pour sa première participation au Salon, Théodule Ribot présente quatre tableaux mettant en scène des marmitons. Ce sujet inédit, qui surfe sur l’essor de la gastronomie et l’intérêt pour les petits métiers, reçoit un accueil dithyrambique et lui vaut la réputation de peintre des cuisiniers. Ces œuvres influencées par les scènes de genre du Siècle d’or et les considérations sociales de la génération réaliste, trahissent aussi une obsession très personnelle pour le labeur et l’argent. La carrière de Ribot est, de fait, jalonnée de scènes où il est question de comptabilité ; il immortalise ainsi son Flûteur non pas en train de jouer, mais comptant sa maigre recette, tandis que la vieille femme des Titres de famille tient fermement contre elle des documents cruciaux pour son confort matériel. Ce tropisme pour les questions économiques est on ne peut plus atypique parmi les artistes de son temps. Il faut dire que, à la différence de nombre de ses confrères, Ribot a connu d’âpres conditions de vie. Singulier, Ribot l’est d’ailleurs à plus d’un titre. Et ses tableaux nimbés de mystère brouillent constamment les cartes. Au carrefour d’influences du XVIIe siècle italien, hollandais et espagnol, ses toiles sont intemporelles. Ses personnages, impossibles à dater, semblent flotter hors du temps et absorbés dans leur univers mental. Son Flûteur pourrait aussi bien être le cousin d’un musicien du Caravage que du Fifre de Manet. Le trouble est encore renforcé par la facture extrêmement moderne de ses empâtements et l’audace de son dépouillement, frôlant parfois l’abstraction. À l’instar de son magistral Gigot, qui semble annoncer Soutine.

« Une délicieuse obscurité. Théodule Ribot (1823-1891) »,
Musée des Augustins, 21, rue de Metz, Toulouse (31), www.augustins.org

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°749 du 1 décembre 2021, avec le titre suivant : Le mystérieux Monsieur Ribot

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