Le musée de papier de Cassiano

Le Journal des Arts

Le 6 octobre 2000 - 700 mots

Figure clé de la Rome du XVIIe siècle, l’érudit Cassiano dal Pozzo avait mis en œuvre une entreprise d’essence encyclopédique sans précédent : rassembler des dessins de tous les vestiges de l’antique et du monde naturel visible. Pour cela, il a fait appel aux meilleurs artistes du temps : Poussin, Pierre de Cortone… Une exposition à Rome ressuscite cette personnalité hors du commun, doublée d’un collectionneur avisé.

ROME (de notre correspondant) - Introduit à la cour du cardinal Del Monte, le collectionneur Cassiano dal Pozzo, d’origine piémontaise, exerce des fonctions éminentes auprès du Saint-Siège, sous les pontificats de  Clément VIII Aldobrandini, Paul V Borghese et Urbain VIII Barberini. Fin collectionneur, il découvre et protège de jeunes talents comme Simon Vouet, Nicolas Poussin, Pierre de Cortone, Artemisia Gentileschi, François Duquesnoy, l’Algarde et Bernin. Habile diplomate, il crée un réseau serré de correspondants internationaux, qui s’étend de la Pologne à Malte, de l’Angleterre au Portugal. Dans les années 1620, sa fortune se consolide notamment grâce à sa relation avec Francesco Barberini, le puissant cardinal, neveu du pape Urbain VIII, qu’il accompagne dans deux importantes missions en France et en Espagne. Durant ces années, Cassiano s’est déjà lancé dans l’entreprise du Museo Cartaceo (Musée de Papier) qu’il poursuivra toute sa vie, et que son frère continuera jusqu’à sa mort en 1689. Riche de plus de 20 000 pièces, il était constitué par des volumes de dessins d’antiques et de dessins naturalistes. Parmi la trentaine d’artistes sollicités, figurent quelques-uns de ses protégés, tels Poussin, Pierre de Cortone et Dominiquin. La partie naturaliste est presque entièrement exécutée par l’excellent Vincenzo Leonardi, alors élève d’Antonio Tempesta et protégé du cardinal Del Monte. Cette collection insolite fonctionnait comme une machine informatique, avec des dessins numérotés correspondant aux légendes d’un livre-mémento (l’unique exemplaire à avoir survécu sera publié pour la première fois dans le catalogue de l’exposition, chez De Luca Editore).

Les légendes renvoyaient aux volumes de la bibliothèque, tant manuscrite qu’imprimée, en un jeu continuel de miroirs entre images et textes de chaque époque, documentation scientifique, artistique, philologique et poétique, intégrée en une sorte de culture globale. L’horizon est étonnamment vaste : “Nous nous sommes aperçus, avec l’aide de Nicolas Turner, que le Museo Cartaceo comportait aussi des dessins du XVIe (Salviati, Vasari, Perino del Vaga), d’une richesse de références à l’antique, Antiquité réelle ou imaginaire, qui servaient de modèle aux nouveaux dessinateurs et aux peintres pour devenir de véritables artistes”, explique Francesco Solinas, spécialiste de Cassiano et un des commissaires de cette exposition. Avec ses 220 pièces environ dont nombre d’inédits, l’exposition présente deux ensembles magnifiques du Museo Cartaceo : une sélection de 40 dessins d’antiques conservés dans un carnet aux Offices, jusqu’alors considérés comme des copies, et en réalité originaux, donnés par Cassiano à son ami Carlo Roberto Dati, secrétaire du prince Léopold de Toscane, et un groupe de dessins d’antiques ou naturalistes provenant des dispersions du XXe siècle de la Royal Library de Londres, qui en possédait un millier, retrouvés dans des collections privées. Après une introduction biographique, le parcours d’exposition se déroule dans une série de pièces semblables à celles de la maison de Dal Pozzo. L’ancienne galerie de tableaux du collectionneur a autant que possible été reconstituée, avec des toiles importantes de Vouet et Poussin, des paysages inédits de Filippo Napoletano et Jan Asseljin, deux splendides Paysages ornithologiques dessinés par Leonardi et peints par Antonio Cinatti, ainsi que des toiles de Bernin, Cortone, Mattia Preti, Scipione Pulzone, Antonio Tempesta, Jean Lemaire et bien d’autres. Trois tableaux de jeunesse de Poussin, exécutés expressément pour Cassiano, sont exposés ainsi que le Paysage avec satyre endormi conservé à Montpellier, la Rébecca au puits (al pozzo) de la Wildenstein Collection et le Paysage avec divinité fluviale, d’une collection privée. Après les sections fournies consacrées au Museo Cartaceo et aux diverses entreprises éditoriales de Cassiano, le parcours se termine par Les Sept Sacrements d’André de Mujnck d’après Poussin, de bonnes copies du milieu du XVIIe placées dans les cadres originaux restés à Rome.

- LES SECRETS D’UN COLLECTIONNEUR. LES COLLECTIONS EXTRAORDINAIRES DE CASSIANO DAL POZZO, jusqu’au 26 novembre, Palazzo Barberini, via delle Quattro 13, Fontane, Rome, tlj sauf lundi 10h-18h, sam. et dim. et j.f. 10h-20h. Catalogue.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°112 du 6 octobre 2000, avec le titre suivant : Le musée de papier de Cassiano

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