Montréal

Le monde enfantin de Feininger

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 14 février 2012 - 685 mots

À l’origine dessinateur de BD, le peintre germano-américain, peu connu en France,
a produit une œuvre aux multiples influences.

MONTRÉAL - Peu reconnu en Amérique du Nord où l’exposition est passée par New York avant de s’installer à Montréal, Lyonel Feininger (1871-1956) est méconnu en France. N’ayant jamais bénéficié de rétrospective, il a cependant récemment fait parler de lui lors de la vente publique d’un de ses tableaux chez Artcurial, à Paris, en mai 2011, un tableau initialement légué au Musée national d’art moderne et refusé en raison d’un doute sur son attribution (lire le JdA no 348, 27 mai 2011). Nathalie Bondil, la directrice du Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM), explique cette méconnaissance par les doubles racines de l’artiste. Avec un pied à New York où il est né, a grandi et est retourné en 1937, et un autre en Allemagne où il a mené une grande partie de sa carrière, Feininger ne serait revendiqué par aucune de ses deux patries. Il existe une autre explication : sa peinture laisse perplexe. Très marquée par l’illustration, elle a traversé le fauvisme, le cubisme, le Bauhaus, en y puisant à chaque fois de nouvelles inspirations pour construire un syncrétisme certes identifiable, mais par moments naïf et dépourvu d’intensité.

Venu en Allemagne pour suivre des études d’art, il livre très vite des caricatures pour la presse ; le succès aidant, il en fera son métier pendant une bonne quinzaine d’années. Il réalise aussi pour un journal américain, des bandes dessinées pleines de fantaisie et de poésie. À 36 ans, sous l’influence de sa seconde femme, Julia, il abandonne l’illustration de presse pour se consacrer à la peinture. Un récent séjour à Paris lui ayant fait découvrir Matisse et le fauvisme, il peint des scènes de rue, usant de plusieurs perspectives, peuplées de personnages démesurément allongés (un héritage de ses dessins), dans un chromatisme exalté sans être outrancier. Il côtoie alors la Sécession de Berlin. S’ensuit un nouveau séjour à Paris en 1911, où il a envoyé six tableaux au Salon des indépendants. Il y rencontre cette fois le cubisme, qu’il utilise moins pour démultiplier les points de vue que pour résoudre le problème caractéristique des illustrateurs, celui du modelé. Il exprime alors les volumes en juxtaposant des facettes. Une exposition des futuristes à Berlin l’incite à explorer la vitesse, qu’il abandonne cependant très vite. À partir des années 1920, sa carrière et son œuvre prennent un nouveau tournant. Il participe à la création du Bauhaus, où il enseignera plusieurs années, et épure considérablement ses compositions. Les formes se simplifient, s’agrandissent et se remplissent d’étendues colorées et modulées, avec un léger effet d’irisation. Feininger conservera ce procédé d’un caractère ennuyeux jusqu’à la fin de sa vie, le poursuivant après son départ en 1937 pour les États-Unis, en fuite devant une Allemagne nazie qui a retiré ses toiles des musées. Ses paysages cristallins font aussi écho à une sensibilité mystique, un monde intérieur exacerbé par une fascination pour Bach. Bon musicien, il a même composé des fugues et s’en inspire dans sa peinture, non pas directement dans des figures ou des métaphores mais pour réduire les formes à leur essence et répéter les motifs.

Le parcours chronologique rend assez bien compte des multiples influences du peintre. Bien dans l’esprit pédagogique anglo-saxon, les cartels explicatifs (et qui le sont réellement) guident le visiteur dans les linéaments décelables de son style. Au centre de la deuxième salle, trônent sous verre des petites figurines colorées que Feininger a fabriquées pour ses enfants. Cette présence, d’un premier abord curieuse, livre une autre clef de lecture de l’œuvre d’un Feininger qui ne serait peut-être jamais sorti de l’enfance. Et l’on revoit alors d’un autre œil les grandes figures humaines et les architectures étirées qui hantent toutes ses toiles. C’est ainsi qu’un enfant voit le monde.

LYONEL FEININGER. DE MANHATTAN AU BAUHAUS

Commissaire de l’exposition : Barbara Haskell
Nombre d’œuvres : environ 200

Jusqu’au 13 mai, Musée des beaux-arts de Montréal, 1379, rue Sherbrooke Ouest Montréal, Canada, www.mbam.qc.ca, tlj sauf lundi 11h-17h. Catalogue, coéd. MBAM/Whitney Museum of American Art/Somogy, 276 p., 38 €, ISBN 978-2-7572-0483-2.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°363 du 17 février 2012, avec le titre suivant : Le monde enfantin de Feininger

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