Le maître flamand, témoin de l’intégration des « nouveaux juifs » dans le xviie amstellodamois

Par Bérénice Geoffroy-Schneiter · L'ŒIL

Le 23 juillet 2007 - 429 mots

Contraints de vivre comme des catholiques mais secrètement restés fidèles à leur foi, les juifs originaires de la péninsule ibérique finissent par fuir leur pays, victimes des persécutions de l’Inquisition. Ces conversos ou marranes vont trouver dans la République des Provinces-Unies les conditions propices à leur « renaissance ».
Privés de leur religion depuis des générations, ils doivent alors effectuer un véritable retour aux sources, réapprendre prières et coutumes.
Très vite cependant, ces « nouveaux juifs » sont acculturés et se fondent, dès les années 1630, dans le paysage amstellodamois. En témoigne cette magnifique toile d’Emmanuel de Witte décrivant avec force détails l’intérieur de la synagogue portugaise d’Amsterdam (vers 1680). On se pressait ainsi de l’Europe entière pour admirer en toute liberté l’exercice de ce culte déployé avec un tel faste, une telle magnificence.

L’entourage du peintre
Rembrandt ne pouvait ignorer l’existence de la communauté juive séfarade, lui qui habitait depuis 1639 dans son quartier de prédilection, la Sint Anthoniesbreestraat et ses demeures cossues habitées par des marchands d’art, collectionneurs et artistes renommés.
Parmi les membres de l’intelligentsia juive, le peintre entretint vraisemblablement des rapports étroits avec cette figure insigne qu’était le rabbin Menasseh Ben Israël, dont il fit le portrait en 1639. Des critiques d’art sont allés jusqu’à avancer l’influence manifeste des échanges entre les deux hommes dans la conception de toiles aussi illustres que Le Festin de Balthazar (National Gallery de Londres) de 1639, ou le Faust de 1652. Ainsi, les lettres hébraïques qui dansent dans le fond de ces compositions n’auraient pu être soufflées à l’artiste que par un rabbin, voire un érudit hébraïsant…
Autre personnage influent de la communauté juive amstellodamoise, le médecin et homme de lettres Ephraïm Hezekiah Bueno eut, lui aussi, les honneurs d’un portrait de la main du peintre. Curieusement, l’effigie gravée ne reçut jamais l’inscription initialement prévue dans la marge inférieure : faut-il en conclure que le modèle n’apprécia guère son portrait à l’expression mélancolique et aux yeux démesurément agrandis ? Vraisemblablement, si on le compare à la version plus tardive et plus conventionnelle signée du peintre Jan Lievens…

Son Christ « juif »
Mais, au-delà de ces commandes isolées, le regard de Rembrandt sur le monde juif se fera infiniment plus original dans cette effigie d’un Christ en buste (1655-1656), que les archives décrivent « peinte sur le vif ». En se voulant un « peintre d’histoire », le maître aurait fait poser un modèle appartenant à la communauté séfarade, les cheveux noirs tombant en boucles souples sur les épaules. Le résultat n’en fut que plus troublant : un Christ « juif » au regard singulièrement mélancolique, loin, bien loin des versions blondes et nordiques de ses compatriotes…

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°592 du 1 juin 2007, avec le titre suivant : Le maître flamand, témoin de l’intégration des « nouveaux juifs » dans le xviie amstellodamois

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque