Art moderne

Le Kunstmuseum de Bâle renforce sa notoriété

Par Christine Coste · L'ŒIL

Le 30 mai 2016 - 1547 mots

Pour ses quatre-vingts ans, le Musée des beaux-arts de Bâle s’adjoint un autre bâtiment inauguré ce mois-ci. Retour sur l’histoire d’une institution intimement liée à la ville, à ses mécènes et aux collectionneurs.

Sur la façade du Kunstmuseum de Bâle, l’inscription gravée « La ville de Bâle aux œuvres d’art » rappelle aux passants de la large avenue qui la borde, comme aux visiteurs de l’institution, la place particulière que l’institution tient dans la cité.Le 15 avril dernier, lors de l’inauguration de son extension couplée à celle de la réouverture du musée rénové, Bâlois, collectionneurs et mécènes étaient nombreux à exprimer les liens qui les relient. Une nouvelle fois le Kunstmuseum distille entre ses murs l’esprit à l’œuvre depuis leur construction, il y a quatre-vingts ans.

La grande cohérence entre le bâtiment aux allures de palazzo conçu dans les années 1930 par Rudolf Christ et Paul Bonatz et la structure monolithique en brique grise imaginée par Emanuel Christ et Christoph Gantenbein éclaire sur la conception d’une extension pensée pour agrandir les espaces du musée dévolus à la collection et ceux réservés aux expositions temporaires. La filiation entre les deux est revendiquée elle-même dans la conception intérieure par les deux jeunes architectes bâlois. Mille et un détails le rappellent : le plancher en bois, le marbre, les encadrements des ouvertures des salles, la présence du grand escalier aux volumes sculpturaux et l’enfilade des galeries. Des rares fenêtres disposées pour apporter aux pièces la lumière du jour souhaitée, des points de vue précis se distribuent sur le Kunstmuseum, Bâle et le Rhin. De ce dialogue émane une force tranquille qui ramène en filigrane à l’histoire du musée et au développement d’une collection indissociable des dons ou dépôts de grands collectionneurs bâlois ou suisses et des acquisitions. À commencer par l’achat par la Ville en 1661 du Cabinet Amerbach constitué par Basilius Amerbach (1533-1591), fils d’un juriste ami d’Érasme ; un fonds impressionnant doté entre autres de dessins, de gravures et de cinquante tableaux, dont quinze de Holbein le Jeune. Vingt ans plus tard, il représentait l’un des joyaux de la ville, que l’on découvrait dans la maison Zur Mücke tous les jeudis après-midi. La visite était gratuite. Les autres jours, savants ou personnes de passage devaient s’acquitter d’une somme modique. 

Un bâtiment lié à l’histoire de l’enrichissement des collections
Par la suite, dons et achats par le conseil municipal ont élargi la collection Amerbach, en particulier l’acquisition en 1823 de la collection du musée créé par le juriste Remigius Faesch, riche en peintures de Hans Holbein, estampes et peintures rhénanes des XVe, XVIe et XVIIe siècles. Dès lors, face au manque de place pour leur déploiement, a émergé le projet d’un nouveau bâtiment pour les exposer. Après appel à projets, commande fut passée en juin 1842 à l’architecte Melchior Berri. Sept ans plus tard était inauguré dans la Augustinergasse le nouveau bâtiment, à l’architecture néoclassique au goût de l’époque et au gigantisme à l’échelle de ses fonctions les plus diverses, de musée des beaux-arts à celle de cabinet antique, d’ethnologie ou de laboratoire de physique-chimie. Aujourd’hui, siège du Musée des cultures et du Musée des sciences naturelles, il continue à en imposer par ses volumes.

Legs du peintre et marchand bâlois Samuel Birmann, dons et crédits d’acquisitions, modestes mais fréquents, du canton de Bâle Ville consolidaient par ailleurs régulièrement le fonds, réputé dès la fin du XIXe siècle pour ses Holbein et Arnold Böcklin, dont le musée possède la collection la plus représentative. Toutefois, à l’aube du XXe siècle, le musée était déjà trop à l’étroit dans ses murs. Émergea le projet d’un nouvel édifice. Après nombre de desseins avortés puis maintes polémiques autour du projet de construction de Rudolf Christ et de Paul Bonatz, le Kunstmuseum était inauguré le 29 août 1936. Couverts de tableaux offerts par divers collectionneurs et musées européens pour célébrer l’événement, il s’ouvrait à une nouvelle ère qui allait le hisser parmi les plus importants musées au monde.

La collection de peintures et de sculptures du XXe, autre ligne de force de l’institution dès 1920, renforcée dans les années 1930 par le rachat d’œuvres dites « dégénérées » provenant des musées allemands, connaît à partir des années 1950 un développement exponentiel au rythme des donations privées, telle celle d’art cubiste de Raoul Albert, La Roche ou des dépôts des fondations Emanuel Hoffmann ou Alberto Giacometti. Comme le souligne Bernhard Mendes Bürgi, directeur du musée : « En 1959, grâce à une donation de la Société nationale Suisse assurance, le Kunstmuseum fut le premier musée d’Europe à pouvoir exposer l’expressionnisme abstrait américain. » L’accrochage dans la nouvelle extension du Kunstmuseum des œuvres de Barnett Newman, Clyfford Still, Sam Francis, Jasper Johns, Frank Stella, Carl Andre, Donald Judd ou Andy Warhol le rappellent comme le réaccrochage dans le bâtiment historique d’Arlequin assis de Picasso, dont une souscription publique en 1967 permit de boucler l’achat ; un hommage à son œuvre auquel Picasso répondit en offrant trois toiles et un dessin.

Le mécénat de Maja Oeri
Le choix de programmer « Sculpture on the move 1946-2016 » pour l’exposition inaugurale, signée par Bernhard Mendes Bürgi avant son départ à la retraite, à la fois dans le nouveau bâtiment mais aussi au Museum für Gegenwartskunst, situé juste à proximité, rappelle le rôle joué notamment par la famille Hoffmann, en particulier Maja Sacher-Stehlin et sa petite fille Maja Oeri, dans l’édification en 1980 de ce premier prolongement du Kunstmuseum dédié à l’art contemporain. Nul ne l’ignore à Bâle, sans l’acquisition par Maja Oeri de l’ancien bâtiment de la Banque nationale suisse situé juste en face du musée et sa démolition ouvrant un terrain vierge pour l’édification de ce dernier,  cette nouvelle page de l’histoire du Kunstmuseum n’aurait pas pu s’écrire. La collectionneuse et mécène, par ailleurs pourvoyeuse des 50 millions de francs suisses sur les 100 millions nécessaires à son édification, avait cependant assorti son financement d’une date butoir de construction. Si, en 2018, rien n’avait été entrepris, elle se serait désengagée. Manière de protéger le projet d’extension des retards, discussions et polémiques en tout genre auquel échappe rarement un nouveau musée ou un agrandissement, particulièrement en Suisse…

Une rénovation dans l’esprit des lieux
Ceux qui connaissent le Kunstmuseum retrouveront leurs repères et l’atmosphère des lieux. Les chefs-d’œuvre du musée ont été ainsi très peu déplacés de leur emplacement d’origine. La rénovation entreprise n’a que peu modifié les salles dévolues à la collection qui, de l’art européen du XVe siècle jusqu’à Picasso, Calder et Gerhard Richter, se déploie désormais entièrement sur les niveaux supérieurs du musée après la récupération au second étage des espaces dévolus hier aux expositions temporaires. La partie consacrée au XIXe siècle a toutefois été renforcée et une section sur les artistes suisses, en majorité bâlois, a été créée en rez-de-jardin. Au rez-de-chaussée, borne d’accueil, librairie, espaces de médiation et vestiaires ont été simplement reconfigurés à la suite de l’aménagement du passage souterrain qui conduit au nouveau bâtiment conçu par Christ et Gantenbein tandis que le grand escalier bénéficie à nouveau de la belle lumière zénithale des vastes fenêtres de ses paliers .

Hans Holbein le Jeune, Le Christ mort dans sa tombe, 1521-1522

La restitution crue du cadavre du Christ, son corps déposé dans sa sépulture et placé en premier plan, le teint verdâtre de son visage, ses yeux vitreux et sa bouche grande ouverte rendent unique le tableau d’Holbein (1497/1498-1543). Loin de l’image sacrée d’un Christ promis à la résurrection, ce tableau, auquel Dostoïevski consacre quelques lignes dans L’Idiot, figure en simple mortel. L’absence de traces de flagellation et la discrétion des blessures de sa mise en croix renforcent cette vision.

Oskar Kokoschka, La Fiancée du vent, 1913

Des tableaux nés de sa liaison passionnelle avec Alma Mahler, veuve du compositeur Gustav Mahler, Oskar Kokoschka (1886-1980) décrit cette œuvre comme son « travail le plus fort, la pièce maîtresse de toutes mes aspirations expressives ». Le couple qu’il forme avec Alma Mahler s’exprime dans cette toile qui les voit allongés, elle belle endormie contre son épaule. La plénitude de son visage contraste avec les traits émaciés, creusés et tendus de l’artiste aux yeux grands ouverts sur la tempête environnante, expression des propres tourments sentimentaux qui l’assaillent.

Pablo Picasso, Arlequin assis, 1923

Le thème de l’Arlequin est, en particulier entre 1900 et 1927, l’un des motifs de prédilection de Picasso (1881-1973). L’artiste se reconnaît dans la figure du saltimbanque. Assis sur une chaise sculptée, cet Arlequin costumé est songeur. Le regard de profil est porté vers le lointain. La belle plasticité donnée aux traits réguliers du visage du jeune homme et à son corps robuste évoque les modèles de l’Antiquité, ce que renforcent le fond monochrome clair et les couleurs passées de l’habit.

Arnold Böcklin, L’Île des morts, 1880.

Arnold Böcklin (1827-1901) a donné cinq versions différentes de L’Île des morts. Cette représentation, la première qu’il en fit, est devenue une icône par la puissance de sa symbolique et son atmosphère romantique. Le sombre du ciel, de l’étendue d’eau traversée et des cyprès élancés s’harmonise aux éclats de lumière sur l’île et fait ressortir la silhouette enveloppée d’un tissu blanc qui, debout sur une barque et de dos, s’apprête à y accoster pour rejoindre cet espace sacré et sanctuarisé, métaphore d’un au-delà harmonieux et serein.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°691 du 1 juin 2016, avec le titre suivant : Le Kunstmuseum de Bâle renforce sa notoriété

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