Le jour où... Poussin a peint l’extrême-onction

Par Pierre Wat · L'ŒIL

Le 13 mai 2015 - 595 mots

Chaque mois, Pierre Wat raconte un jour dans la vie d’un artiste, entremêlant document et fiction pour mieux donner à voir et à imaginer.

Hier, je commençais à travailler à l’un des Sacrements. Je prie Dieu qu’il me donne la vie assez longue pour les finir tous les sept comme je le souhaite. Je travaille gaillardement à L’Extrême Onction, qui est en vérité un sujet digne du grand peintre grec Apelle, car celui-ci se plaisait à représenter des transis. Je ne m’arrêterai pas de travailler tant que je ne serai pas parvenu à en faire l’ébauche, de telle sorte que l’on puisse juger de ce qu’il pourra être, étant fini. Ledit tableau contiendra dix-sept figures d’hommes, de femmes, d’enfants jeunes et vieux, une partie desquels se consument en pleurs, et les autres prient Dieu pour le moribond. Je vais commencer le second, La Pénitence, en attendant que celui-ci sèche bien, ce qui est chose assez importante en peinture. Chantelou, déjà, me presse afin que je lui dise quand il pourra jouir de l’ensemble des sept tableaux, moi qui n’ai plus assez de joie ni de santé pour m’engager dans des sujets tristes. Le Crucifiement, déjà, m’avait rendu malade. J’y ai pris beaucoup de peine, et ce que je peins va achever de me tuer. Je ne pourrais pas résister aux pensées affligeantes et sérieuses dont il faut se remplir l’esprit et le cœur pour réussir ces sujets d’eux-mêmes si tristes et lugubres. Ce matin, j’ai confié mon dernier tableau à Bertholin, le courrier de Lyon, afin qu’il le porte à Chantelou. J’ai espérance qu’il arrivera à bon port et bien conditionné, d’autant que j’use diligence à le faire bien encaisser et bien couvrir. La caisse a été scellée de mon cachet, et l’adresse indiquée : À monsieur de Chantelou, à la rue Saint-Thomas du Louvre. J’indique à Chantelou qu’il lui faut absolument, avant que d’autres voient le tableau, orner celui-ci d’une corniche d’or. Si d’aventure il trouvait sur le tableau que j’ai roulé avec de grandes précautions quelque moisissure, je lui ai indiqué qu’il ne lui fallait point s’en étonner. Il n’est verni que de blanc d’œuf, lequel il faut ôter avec de l’eau et une éponge, afin de le faire vernir avec un vernis fin et léger. Je prie afin qu’il n’arrive pas à mon colis la même mésaventure qu’à un autre de mes envois, confié à un courrier qui fut tué entre Turin et Suse, sur le chemin de Rome à Lyon. J’ai eu ma bonne part de peur avant d’apprendre que ma caissette, miraculeusement, n’avait pas été volée.
Ceux qui contemplent ma peinture ne savent pas de quelle discipline et de quel tracas du corps et de l’esprit elle est issue. Chaque jour, depuis tant d’années, j’ai coutume de me lever matin et de faire quelque exercice une heure ou deux, me promenant sur le mont Pincio, non loin de la Via Paolina où je réside, d’où se découvre la plus admirable vue de Rome et de ses collines. Je m’entretiens avec mes amis puis, de retour chez moi, je peins sans interruption jusqu’à midi et, m’étant restauré, je peins encore pendant quelques heures avant, le soir, de me promener de nouveau en compagnie amicale. Ainsi, grâce à l’étude continue, ai-je pu élever mon œuvre jusqu’à, parfois, éveiller dans les âmes l’émerveillement. Ainsi me suis-je, peu à peu, épuisé à la tâche. L’on dit que le cygne chante plus doucement lorsqu’il est voisin de la mort. Je tâcherai, à son imitation, de faire, dans le temps qui me reste, mieux que jamais.

« Poussin et Dieu »

Jusqu’au 29 juin 2015. Musée du Louvre. Ouvert tous les jours, sauf le mardi, de 9 h à 18 h.
Nocturne le mercredi et vendredi jusqu’à 21 h 45.
Tarif : 13 €.
Commissaires : Nicolas Milovanovic et Mickaël Szanto.
www.louvre.fr

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°680 du 1 juin 2015, avec le titre suivant : Le jour où... Poussin a peint l’extrême-onction

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