Rétrospective

Le Douanier Rousseau, en feuille à feuille

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 31 mars 2006 - 805 mots

Après Londres, les Galeries nationales du Grand Palais proposent d’explorer la jungle de ce peintre autodidacte, qui n’a jamais quitté Paris.

PARIS - « Il faut cultiver notre jardin », écrivait Voltaire. Une recommandation prise au pied de la lettre par Henri Rousseau dit le Douanier Rousseau, dont les jungles luxuriantes au style unique lui valurent plus de critiques que de louanges. Ses paysages peuplés d’animaux sauvages ont envahi les Galeries nationales du Grand Palais, à Paris, à l’occasion de la première exposition en France sur l’artiste depuis la grande rétrospective de 1984 conçue par William Rubin et présentée à Paris puis à New York. L’heure est à la relecture de son œuvre, sur fond de colonialisme et d’avant-garde.

Menaçant et puissant, portant une jeune femme sous le bras, un gorille grandeur nature de Frémiet est l’hôte d’accueil pour le moins saisissant de l’exposition « Le Douanier Rousseau. Jungles à Paris ». Que les personnes anxieuses de subir le même sort se rassurent : l’animal doit sa présence à son naturalisme, une approche aux antipodes de celle d’Henri Rousseau (1844-1910). « Naïf » et « enfantin » sont les termes les plus usités pour décrire la production de cet artiste atypique car autodidacte, resté douanier pour l’histoire de l’art – une épithète tendre pour les uns et volontairement cynique pour les autres. Employé des douanes à Paris, Rousseau a 42 ans lorsqu’il présente une première toile, Un soir au carnaval (1886), au Salon des artistes indépendants. À l’image des fauves se régalant d’antilopes dans ses jungles, les critiques n’en font qu’une bouchée. Impassible, Rousseau a écouté Voltaire. Après avoir influencé nombre d’artistes par cette apparente simplicité de facture (Fernando Botero, Camille Bombois…), l’artiste a été promu au rang de précurseur. Pablo Picasso, qui a toujours désiré retrouver l’impulsion enfantine, était pantois d’admiration devant cette simplicité, simulée ou non. La symétrie de certaines compositions ici présentées (Allée du parc de Saint-Cloud, 1908 ; La Liberté invitant les artistes à prendre part à la 22e exposition de la Société des artistes indépendants, 1905-1906) est d’ailleurs spécifique à l’art dit brut, celui des aliénés, des autodidactes. De plus, l’absence de profondeur et de modelé, alliée à la franchise des personnages, saisis de face, renvoie à l’art des enfants.

Admiration des surréalistes
En dehors de toute considération esthétique sur sa modernité, Henri Rousseau apparaît dans cette exposition comme un maître du feuillage. Plante après plante, feuille après feuille, il élabore un décor où les plans sont superposés, à la manière des couches de Celluloïd utilisées dans la technique du dessin animé à l’ancienne. Avec justesse, le critique allemand Wilhelm Uhde écrivait en 1911 : « Ce n’est pas tant la forêt vierge en tant que jardin botanique ou zoologique qu’il peint, mais la forêt vierge avec ses épouvantes et ses beautés, dont nous rêvons enfants […]. C’est la forêt vierge en tant qu’aventure fantastique. » Cet espace imaginaire n’aurait sûrement pas vu le jour si Rousseau avait pu dépasser le périmètre du Jardin des Plantes, dont il était un habitué. Était-il victime du « complexe du douanier », pour n’oser s’aventurer au-delà de la banlieue parisienne ? Les animaux qu’il a pu observer étaient soit en cage, soit empaillés. Peintre du bocal, Rousseau est en ce sens emblématique de la fin du XIXe siècle, ère coloniale où le « gentil sauvage » d’un autre Rousseau a fait place au primitif et au cannibale. L’annexe que l’exposition consacre à cette mode de l’exotisme est d’ailleurs plus pertinente que celle qui est dévolue aux photographies urbaines d’Eugène Atget, rapprochées des paysages silencieux du douanier. Malheureusement, ces mises en contexte sont à double tranchant, offrant des respirations bienvenues, mais cassant également le rythme de la visite.
À Londres, la scénographie de la Tate Modern évitait cet aspect décousu en rassemblant ces deux sections en une pièce centrale, d’où l’on pouvait aller et venir à sa guise.
Au terme de cette sélection d’une cinquantaine de toiles, plutôt rapidement survolées, Le Rêve (1910) conclut la visite avec panache. Lorsque Rousseau a réalisé ce chef-d’œuvre, il était loin de se douter qu’un jour il provoquerait l’admiration des surréalistes. Apparaissant après une succession de fauves dévorant leurs proies, et d’autres toiles plus pragmatiques, cette femme nue allongée sur un canapé au milieu d’une jungle exotique est majestueuse. Peu à peu, l’œil distingue là un éléphant, là un oiseau, et surtout la charmeuse de serpent, que la noirceur de peau fait disparaître dans l’obscurité du feuillage. Comme ces lions aux yeux écarquillés, le visiteur reste hypnotisé.

LE DOUANIER ROUSSEAU. JUNGLES À PARIS

Jusqu’au 19 juin, Galeries nationales du Grand Palais, square Jean-Perrin, 75008 Paris, tél. 01 44 13 17 17, www.rmn.fr, tlj sauf mardi et le 1er mai, 10h-20h (mercredi jusqu’à 22h). Catalogue, coédition Kate’Art/RMN, 230 p., 145 ill. dont 100 ill. couleurs, 36 euros, ISBN 2-71185-030-7.

LE DOUANIER ROUSSEAU. JUNGLES À PARIS

- Commissariat général : Christopher Green, professeur au Courtauld Institute of Art (Londres), Frances Morris, conservatrice et responsable de la présentation des collec-tions, Tate Modern (Londres) - Commissaire pour l’étape parisienne : Claire Frèches-Thory, conservatrice générale au Musée d’Orsay (Paris) - Commissaire pour les salles documentaires : Vincent Gille, chargé de mission au Pavillon des Arts (Paris) - Scénographie : agence Pylône architectes - Nombre de salles : 11 - Nombre d’œuvres : 46 tableaux

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°234 du 31 mars 2006, avec le titre suivant : Le Douanier Rousseau, en feuille à feuille

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