Design

Le designer Alessandro Mendini de A à Z

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 14 novembre 2019 - 1067 mots

GRONINGEN / PAYS-BAS

Le Groninger Museum rend hommage à celui qui, récemment disparu, avait dessiné le plan du musée. L’exposition présente une sélection d’œuvres souvent inspirées par des artistes.

Groningue (Pays-Bas). C’est une exposition insolite à laquelle nous convie le Groninger Museum à l’occasion de son 25e anniversaire (lire l’encadré). Une rétrospective de l’un des plus grands designers et architectes italiens, disparu au début de l’année à l’âge de 87 ans : Alessandro Mendini (1931-2019). La raison ? Non seulement, ce musée a été, en grande partie, pensé, érigé et aménagé par lui. Mais l’homme a, à l’invitation du directeur de l’institution, Andreas Blühm, imaginé l’ensemble de l’exposition, depuis le choix des pièces jusqu’à la scénographie. Bref, à l’instar d’un jeu de poupées russes, le visiteur est convié à déambuler doublement, sinon dans la tête d’Alessandro Mendini, du moins dans l’intimité de son « monde », selon le titre de la présentation : « Mondo Mendini » [« Le monde de Mendini »]. Et celui-ci est hétéroclite et haut en couleur.

Le parcours, qui réunit 200 pièces – 170 créations du designer et une trentaine d’œuvres d’art qui l’ont inspiré –, n’est ni chronologique ni thématique. Alessandro Mendini avait prévenu : « L’exposition “Mondo Mendini” n’est pas organisée autour de ce que ma personnalité a donné à la culture du design, mais, au contraire, autour de ce que j’ai absorbé de courants culturels et rencontré de maestri tout au long de ma carrière. »

L’un de ses dessins résume à merveille le personnage – on regrette d’ailleurs l’extrême frugalité des documents graphiques, tant Mendini était un excellent dessinateur (le catalogue permet de se faire une idée). Son titre : Je ne suis pas un architecte, je suis un dragon. On y distingue une bête fabuleuse constituée de plusieurs « morceaux » : tête de designer, corps d’architecte, queue de poète, jambes de graphiste, pieds d’artiste, ventre de prêtre, poitrine de manageur et mains d’artisan. De fait, Alessandro Mendini était tout cela à la fois. Et ses influences étaient extrêmement variées, comme le montrent les œuvres qu’il a ici réunies : depuis de grands maîtres de l’avant-garde, tels Fortunato Depero, Theo Van Doesburg et Oskar Schlemmer, jusqu’à des artistes « beaucoup plus jeunes que moi » (dixit Mendini), comme l’Américain Peter Halley ou l’Italien Maurizio Cattelan.

Les premières créations d’Alessandro Mendini, alors que celui-ci est affilié au mouvement transalpin Radical Design, frisent, à dessein, la provocation. Ainsi, sa chaise surdimensionnée Scivolavo (1973) – soit « Je glisse » – évoque un dessin d’enfant tandis que l’assise, à cause de ses pieds de longueur inégale, est inutilisable. Mendini, en réalité, cherche à bousculer notre point de vue sur le design, nous incitant à reconsidérer l’environnement quotidien selon une approche nouvelle. Idem avec la chaise Lassù (1974), tirée d’une série intitulée « Pour un usage spirituel », dont il carbonise, lors d’une performance, l’un des deux spécimens fabriqués, démontrant ainsi qu’un objet peut avoir sa propre existence : une naissance, une vie et une mort, aussi spectaculaire soit-elle.

Nombre de réalisations du designer ne sont pas uniquement fonctionnelles ou efficaces, elles sont aussi drôles, inventives, mystérieuses, ironiques, voire touchantes. Certaines arborent une « expression » qui les rend immmédiatement chaleureuses. À l’interrogation du poète Lamartine, Alessandro Mendini répond par l’affirmative : il souhaitait que ses objets aient une âme, qu’ils nous parlent presque comme des créatures vivantes.

D’emblée, le visiteur peut apprécier sa grande capacité à assimiler les influences de tous bords. Ainsi, son divan Kandinsky [voir ill.] prend sa source dans l’œuvre du peintre éponyme. Ailleurs, de façon mi-taquine mi-malicieuse, le designer revisite la fameuse chaise Zig-Zag d’un génie local, Gerrit Rietveld, en donnant au dossier la forme d’une… croix. De la toile Croix blanche suprématiste (1920) de Kazimir Malevitch à ce cabinet de toilette truffé de fragments de verre bariolés dû à l’artiste américaine Rhonda Zwillinger (Cleanliness is Next to Godliness, 1986), il y a un fossé, que n’hésite pas à franchir joyeusement Mendini. Ce dernier voue une passion à ses maestri comme à l’art populaire, en témoigne cette collection de poupées italiennes en céramique un brin kitsch des années 1930-1940. Il vénérait aussi les artisans, d’où la présence de cette armoire lithographiée Trumeau Architettura, signée Gio Ponti et Piero Fornasetti.

En hommage à Marcel Proust, Alessandro Mendini dessine, en 1978, un siège qui prendra le nom de Fauteuil de Proust. Il recouvre un fauteuil de style baroque de taches colorées inspirées par deux peintres contemporains de l’écrivain : Georges Seurat et Paul Signac. Cette assise pointilliste deviendra le fer de lance de ce que le designer dénommera « Re-Design », principe de transformation en surface d’un objet existant. Mendini ne cessera d’user du motif pour habiller moult autres objets, dont une montre pour le fabricant suisse Swatch. Un « tachisme » qu’il déclinera par la suite grâce à un autre de ses matériaux fétiches : la mosaïque. On peut en admirer plusieurs exemples, tels ces Meubles pour l’homme ou cette Petite cathédrale. Alessandro Mendini usait de ces myriades de points comme d’une métaphore : « La réalité, disait-il, ne consiste qu’en une collection infinie de souvenirs et de fragments. »

25 bougies de toutes les couleurs pour le Groninger Museum  

Musée. Planté sur une île du Verbindingskanaal, à Groningue (Pays-Bas), le Groninger Museum a fêté, en octobre, son quart de siècle. Sa particularité : avoir été conçu par le designer italien Alessandro Mendini, propulsé, à l’époque, architecte en chef. Le projet est unique. Dès l’origine, Mendini veut qu’il soit une œuvre commune et invite d’autres « signatures » à ériger de concert le bâtiment. Le designer français Philippe Starck, l’agence d’architecture autrichienne Coop Himmelb(l)au et le designer italien Michele De Lucchi dessinent leur pavillon respectif. La partie imaginée par Mendini est, évidemment, la plus bigarrée. À l’extérieur d’abord, avec la haute tour dorée par laquelle le public entre et qui abrite les réserves, jusqu’à cette aile entièrement habillée du fameux « motif pointilliste proustien ». À l’intérieur ensuite, avec le majestueux escalier central entièrement revêtu de mosaïque multicolore. Le 29 octobre 1994, celui qui était alors conservateur au Musée Van-Gogh, à Amsterdam, Andreas Blühm, reçoit de son patron mission de le représenter lors de l’inauguration officielle du Groninger Museum par la reine Beatrix des Pays-Bas. Celui-ci avoue aujourd’hui humblement n’avoir, à l’époque, pas cru en ce projet détonnant : « Je donnais cinq ans à ce nouveau et flamboyant musée, avant qu’il ne retombe dans l’anonymat… » Il n’en fut rien. Mieux : Andreas Blühm, aujourd’hui 60 ans, est, depuis 2012, l’heureux directeur du… Groninger Museum.

 

Christian Simenc

Mondo Mendini,
jusqu’au 5 mai 2020, Groninger Museum, Museumeiland 1, Groningen, Pays-Bas.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°533 du 15 novembre 2019, avec le titre suivant : Le designer Alessandro Mendini de A à Z

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