Laurens de terre cuite

L'ŒIL

Le 1 juin 1998 - 465 mots

Henri Laurens est l’un des plus grands sculpteurs de notre siècle ; beaucoup le savent aujourd’hui, qui admirent tout son œuvre dans un respect encore souvent trop silencieux.

On se souvient assurément de la grande rétrospective organisée à Villeneuve d’Ascq. On se souvient moins bien de la grande donation faite à l’Etat par son fils Claude et son marchand Kahnweiler, actuellement bien délaissée dans les caves du Centre Georges Pompidou. Aujourd’hui, son petit-fils organise une importante rétrospective autour des terres cuites de Laurens : une soixantaine, de 1919 à 1945.
Tout au long de sa vie, Henri Laurens aura eu la volonté de lier une même œuvre par le biais de matériaux différents : le bronze et la terre cuite qui fut décriée pendant longtemps. Les premières terres cuites de Laurens datent de 1919, comme une Femme à la mandoline. Puis viennent ses fameuses polychromies réalisées autour des années 20, dans la lignée cubiste. Elles sont peuplées de compotiers, de grappes de raisin, de guitares dont les couleurs étonnamment vives donnent
à ces reliefs une poésie unique. Le sculpteur les voulait ainsi afin de mettre ces pièces dans une autre lumière, la sienne, définie à jamais.
Au fil du temps les bustes s’ornent de colliers, les femmes ouvrent leurs éventails, puis la tête évolue et s’élargit au corps entier. Le modèle s’allonge alors, s’accroupit, s’agenouille. Il est parfois seul, parfois accompagné d’une deuxième figure. Le temps passe, des rubans et des draperies créent de nouveaux mouvements. La nuit, le matin, l’adieu sont célébrés. Enfin, les sirènes arrivent, dont la plus grande sera sans doute sa dernière pièce en terre cuite. Et puis voici encore trois petits reliefs, si singuliers, en terre peinte puis émaillée, réalisés en 1945. Ainsi se trouvent réunis les principaux sujets traités dans ce noble matériau dont les couleurs sont des plus variées. La gamme est large, du plus rouge au plus gris, de l’orange au beige, chaque terre donnant un sens à la sculpture.
Alberto Giacometti, grand admirateur de l’œuvre de Laurens, et son ami, écrivait à son sujet que « la moindre partie de cette sculpture est passée et repassée par la sensibilité de l’auteur, et devient comme une partie même de cette sensibilité ».
Il trouve là des volumes qui s’opposent violemment au vide, et d’autres qui, au contraire, créent « un espace compact de ténèbres ». Un bel hommage, mais un autre encore plus conséquent sera rendu
à Laurens, en 1950, par Matisse qui, scandalisé (car Laurens n’a pas reçu le Prix de la sculpture), partage avec lui son Prix à Venise. La grande reconnaissance de l’importance de l’œuvre d’Henri Laurens ne s’est finalement faite que post mortem. Sans être pour autant un artiste « maudit », il fut tenu en marge.

Galerie Louise Leiris, jusqu’au 25 juillet.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°497 du 1 juin 1998, avec le titre suivant : Laurens de terre cuite

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